Un palais lugubre dans une Espagne renaissante largement fantasmée. Au centre de la scène, un escalier bancal mène à un trône délabré, perché en équilibre instable au sommet de marches branlantes. Un geste, un mot, un soupir et tout pourrait s’effondrer. Un roi dément, un bouffon difforme venu des Flandres, une reine qui se meurt : cette atmosphère sinistre de fin de règne convoque toutes les folies, toutes les peurs ancestrales, celle du Mal qui ronge les esprits et les corps, celle de la Mort, ce "Grand Macabre" comme l’appellera Ghelderode dans une autre de ses pièces.
La Mort…elle est entrée dans le palais, elle rampe sous les portes, s’insinue dans chaque recoin, répandant son odeur douceâtre et méphitique, comme un bouquet de lys en décomposition. Dans ses appartements austères, sans joie et sans soleil, la reine s’étiole, pauvre fleur perdue dans un dédale de chambres à l’air empoisonné. La folie plane, le roi fait égorger ses chiens qui hurlent à la mort, condamne les cloches au silence et fait quérir, pour un ultime divertissement, son bouffon Folial qui peine à le faire rire.
Mais s’agit-il vraiment de rire dans ce jeu carnavalesque qui se révèlera en fin de compte un jeu de dupes ? Trahison ou comédie ? Dépouillés des accoutrements de leur rôle respectif, deux êtres mis à nu s’affrontent, jouent une pantomime sinistre et cruelle qui révélera la vérité de leur nature et de leurs actes. Qui est le plus monstrueux, le plus laid, le plus vil, le plus méprisable ? Qui, en définitive, est l’imposteur : le roi assassin qui n’est plus qu’un pantin sinistre, haï et méprisé, ou le nabot contrefait qui, transgressant sa condition, a su mériter l’amour sans avoir le droit d’aimer ?
Le propre de l’inversion carnavalesque est qu’elle s’abolit dès que la fête est finie : le roi des fous est mis à mort, l’ordre initial rétabli, le renversement des valeurs n’était qu’un mirage. Dès le début d’Escurial, le bourreau est tapi dans l’ombre et la fin apparaît inéluctable. Drame et comédie se fondent dans une impitoyable mascarade, comme les deux faces inextricables d’une même réalité. Une courte pièce profondément baroque dans laquelle réel et illusion s’entremêlent pour faire du monde un théâtre où chacun porte un masque, histrion grotesque dévoilant au fil de la représentation son monstrueux mélange d’imposture et de comédie, de mensonge et de vérité.
[ Note: ce résumé ainsi que ma note ne portent que sur Escurial, drame en un acte écrit par Ghelderode en 1927)