Liberté sacrifiée
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le 4 mars 2016
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Voilà, par la taille, un court roman, mais immense par les thèmes abordés. Edith Wharton nous offre un petit bijou, ciselé à l'extrême, d'une grande beauté et d'une non moins grande richesse.
Le thème, il est connu, c'est celui de la fille qui cède aux sirènes de la séduction. Charity vit dans un petit village de la Nouvelle Angleterre, et son seul horizon est la modeste ville des environs. Elle est la fille adoptive d'un avocat alcoolique, à qui sa mère l'a cédée, car elle vient en fait de la montagne, une communauté de gens sans foi ni loi, vivant misérablement. Elle va faire la rencontre d'un jeune architecte venu étudier les vieilles maisons du pays, et bien sûr, ce sera le coup de foudre.
La première chose à remarquer, c'est bien sûr la langue, avec ces magnifiques descriptions du paysage, et les divers états d'esprit de Charity, dont le rêve va fréquemment être écorné par la vision qu'elle a d'elle-même.
Il y a ensuite la subtilité de l'approche d'Edith Wharton. Ainsi de la charité bien-pensante de ceux qui ont recueilli Charity, lui donnant ce prénom afin que nul n'ignore leurs largesse. Ou comment faire une étude de mœurs sans avoir l'air d'y toucher. Et c'est bien la qualité majeure de l'œuvre : tout le propos est fondu dans une narration fluide et se confond naturellement avec l'intrigue en cours. Ce qu'il gagne en concision, le roman ne le perd certes pas en force, bien au contraire. Ainsi de ce passage où Charity indique qu'il va pleuvoir, car un nuage passe sur la montagne, et où l'architecte y voit la preuve de la superstition des villageois par rapport à cette montagne. Entre autres significations qu'on peut y voir, comment montrer de manière plus concise le mépris inconscient de l'architecte pour les villageois?
Il y a aussi tous ces codes qui régissent une société organisée en castes. C'est parce qu'il a à faire à la ville que l'avocat est si respecté. Les gens de la montagne, méprisés par les villageois, au plus bas de l'échelle sociale, signent la mort de l'utopie libertaire d'un état nouvellement fondé, en partie sur la colonisation des espaces sauvages. La ville, si brillante, est aussi le lieu de toutes les débauches, le refuge des filles perdues.
Ainsi chacun a sa place dans l'ordre social, et Charity cherchera la sienne : le village, le lieu du prosaïque, où elle a sa place en tant que bibliothécaire. La ville, fantasmée, tour à tour lieu du rêve et du cauchemar. Et la montagne, le lieu des origines, de Charity mais pas seulement, car le peuplement de l'Amérique, récent à l'échelle des peuples et plus encore à l'époque ou Wharton écrit, s'est fait à partir de ce genre de communautés établies dans des lieux sauvages et souvent inhospitaliers. Un autre rêve s'est joué là, dont Charity et l'architecte retrouveront les traces en séjournant dans la maison abandonnée.
Faire tenir tout cela en si peu de mots, tout en se tenant à son intrigue et en nous offrant le magnifique portrait d'une jeune femme, ses aspirations et ses doutes, jusqu'à la perte de ses illusions, cela tient tout simplement du miracle, et de ce que la littérature a de meilleur à nous offrir.
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Créée
le 26 juil. 2024
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