Non aux étiquettes

Si vous n'avez pas lu et voulez éviter le spoiler, sautez à la section « En bref ».

Le jour où Fé, 14 ans, fait la rencontre de Félixe, une jeune coiffeuse de 16 ans, une chose troublante se produit : sans comprendre pourquoi, Fé est fascinée. Réalisant peu à peu qu'elle est amoureuse, et non sans se questionner sur son identité sexuelle, Fé entame avec Félixe une relation qui n'est pas toujours de tout repos, tandis que sa propre famille traverse des moments difficiles. Dans ce premier roman, Amélie Dumoulin réussit avec brio un défi de taille : parler de l'homosexualité féminine avec le ton juste.

Ce qui fait le charme de Fé M Fé, c’est d’abord le style d’écriture. Rythmé, caractérisé par une série de courts passages et de phrases simples, il est tout à fait adapté à un lectorat moins porté vers la lecture. Et pourtant, la littérarité est bien au rendez-vous, puisque l’auteure use d’un langage coloré et expressif, dans un juste mélange de maturité et de naïveté. Malgré que des thèmes difficiles soient abordés, l’humour est toujours au rendez-vous pour donner à ce récit un irrésistible élan vers la vie et l’espoir. Le tout est couronné par une narration à la première personne, qui crée une héroïne mature, sensible et attachante.

Enfin, le deuxième élément notable est la symbolique derrière Fé M Fé, puisqu’il s’agit d’une ode pure et simple à la liberté, la liberté d’être qui nous sommes. Il y a dans ce roman une volonté de ne jamais mettre d’étiquettes qui est comme une bouffée d’air frais, un baume au cœur (on le voit d'ailleurs par le fait que Fé n'aime pas se dire « homosexuelle », et préfère le terme de son cru « rosamoureuse »). En effet, non seulement l’amour unissant Fé et Félixe n’est pas présenté comme quelque chose de tragique ou d’extraordinaire, mais tous les personnages en eux-mêmes mènent une existence non conventionnelle, et ce de façon tout à fait ordinaire. La mère de Fée est couturière; son père n’a pas de « vraie » carrière; Félixe ne va plus à l’école et habite seule avec son père, et tous deux partent plusieurs mois en voyage en Amérique du Sud; les familles de Fé et de Félixe ne sont pas particulièrement aisées financièrement. Tous les personnages possèdent leur touche d’excentricité, qu’ils vivent tout simplement, dans les déboires du quotidien.

Fé M Fé est finalement l’idéal de notre époque actuelle, celui auquel nous aimerions que notre jeunesse croie : un monde où chacun est libre de vivre comme il l’entend, sans se soucier des pressions faites par la société, dans la simplicité et la tolérance. Fé M Fé ne manque pas non plus l’occasion de sensibiliser aux problèmes de santé mentale, enjeu majeur de notre époque, en présentant la dépression du père de Fé et les crises d’anxiété de Fé. On nous laisse comprendre qu'ils existent et nous font traverser des périodes difficiles, mais ne sont pas insurmontables.

Ainsi, Amélie Dumoulin a réussi le tour de force de réaliser une œuvre profondément inscrite dans notre époque et ses valeurs – un peu trop peut-être, pourrait-on lui reprocher. À quelques reprises, on a parfois l’impression que l’auteure cherche à intégrer dans son œuvre le plus de thèmes au goût du jour possible (végétarisme, surpoids, écologie, transsexualité, mort d’un aîné…), ce qui nous met la puce à l’oreille d’une fonction pédagogique encore tenace. J’aurais aussi aimé que l’écriture soit plus complexe et les personnages plus approfondis par moment (je crois d’ailleurs que, si j’avais lu ce roman étant plus jeune, j’aurais trouvé l’écriture trop simple), mais ce choix est compréhensible puisqu’il permet de stimuler la lecture chez un public plus large, et des jeunes qui y sont moins naturellement attirés. Soulignons aussi le personnage de la voyante : l'importance que l'auteure lui accorde détonne avec le reste du récit et laisse un peu sceptique. Là encore, on peut l'interpréter comme un appel à l'ouverture d'esprit et à considérer d'autres façons de voir le monde.

En bref
Un roman touchant, drôle, fluide, et qui trouve toujours le ton juste pour parler du quotidien, de l'amour et de ses nuances, et de l'excentricité qui sommeille en chacun d'entre nous. Rien de moins qu'une véritable ode à la liberté, une peinture d'un monde ouvert où chacun est libre d'être ce qu'il souhaite, affranchi des pressions de la société.