Pour ceux qui n'auraient pas lu et veulent éviter le spoiler, sauter au dernier paragraphe "En bref".


Un curieux roman qui en a ravi plusieurs, d'autres beaucoup moins. À mon humble avis, Marie Laberge est de ces auteurs que l'on adore ou que l'on déteste. Il est vrai qu'elle est loin d'être dépourvue de talent. Et pour cause, la lecture de Quelques adieux aurait pu être délicieuse.


Anne, François, Hélène, Élisabeth, Mireille, Jacques : ils sont tous des archétypes, occupent tous des rôles traditionnels, et c'est certes ce qui dérange lorsqu'on commence les premières pages. L'histoire d'un professeur d'Université passionné et amoureux de sa femme, dont la vie est bouleversée par la rencontre d'une étudiante farouche, ténébreuse et tombeuse d'hommes, par laquelle il sera irrémédiablement attiré. On retrouve la meilleure amie de l'étudiante, effacée derrière le caractère flamboyant de l'autre, loyale et prise d'une affection inaltérable pour celle-ci. N'oublions pas non plus la meilleure amie de l'épouse trompée, qui n'a pas la langue dans sa poche et n'a de cesse de prodiguer la médecine du « tough love », enchaînant conseil rigide sur conseil rigide, reproche sur reproche - tout cela, bien sûr, au nom de la même affection et de la même loyauté indélébile.


Et pourtant, force est de constater que malgré ces protagonistes stéréotypés, alors que l'histoire progresse, Marie Laberge se révèle talentueuse dans sa peinture des sentiments humains et de leur flot tumultueux. La psyché de chacun d'eux apparaît réfléchie avec soin, approfondie sans pudeur, avec subtilité et en choisissant les mots justes. Le jeu des narrations alternées, de ces sensibilités contrastées fonctionne, et ce malgré que la progression de l'action soit plutôt lente. On ne peut s'empêcher de se questionner face au caractère foudroyant du drame - pareil dilemme que celui de François, celui d'aimer inconditionnellement deux femmes simultanément pourrait-il vraiment être vécu?


Et voilà qu'on se fait presque prendre par ce rythme délicat, ce regard plein de compassion et de douceur posé sur les personnages, et la part de tragique dans leur existence (mais qui tire parfois à l'excès, donnant à toute l'histoire un ton exagérément fataliste). Sauf qu'il demeure de nombreuses anicroches qui, pour ma part, m'ont empêché d'apprécier réellement la lecture. Cette fâcheuse tendance à ramener le stéréotype; une vision simpliste et sévère de certains personnages, qui semblent être là simplement pour récolter les représailles des autres (le personnage de Jacques, notamment) - étrange contraste avec l'absence de jugement réservé aux autres, qui semble laisser comprendre que, finalement, dans la vie, il y a les bons et les moins bons; la maladresse des dialogues, qui peuvent durer deux pages sans aucune interruption, et qui sonnent faux, trop articulés, un vrai jeu de ping-pong; et, bien sûr, il y a ces fameuses scènes qui, sans doute, sont supposées être le paroxysme de l'écriture de Marie Laberge mais qui, pour moi, sont celles qui tuent instantanément le plaisir de lecture.


Imaginez une écriture nuancée, posée, qui tout à coup, lors des ébats sexuels entre Anne et François, devient une véritable débandade, supposée rendre compte de l'intensité du moment, mais qui ne ressemble finalement qu'à un étalage sans queue ni tête de mots ayant perdu tout leur sens et tout leur poids. En dire moins pour en dire plus : tout à fait à l'antipode de l'écriture de Marie Laberge dans ces passages précis. Des paragraphes complets en une seule phrase longue et haletante, qui parle de désir qui brûle et dévore et fend l'âme et de pleurs d'amour - bref, qui tombent à plat parce que surfait. Là encore, d'autres adorent - tous les goûts sont dans la nature. Mais là, oubliez la subtilité. Passe encore s'il ne s'agissait que de sexe; mais on retrouve encore ces procédés faramineux pour décrire le désespoir d'Élisabeth, qui ne sait plus son nom et se traîne dans la neige en hurlant.


En bref
Quelques adieux est un roman avec certaines qualités : une compréhension réelle des émotions des protagonistes, une élaboration de leurs états d'esprits tout en subtilité et en nuance, un contraste riche entre des personnalités différentes, un rythme qui berce. Mais tout dégringole avec la grossièreté de certains procédés littéraires (les dialogues maladroits, la description sexuelle qui frise le délire pornographique), la structure stéréotypée et archétypique des personnages, une tendance agaçante à la tragédie et un léger discours moralisateur. Ce qui est sûr, c'est que Marie Laberge est la reine de l'intensité et du sentiment - pour le meilleur et pour le pire.

Racou
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le 18 févr. 2017

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