Ayant déjà avoué toute mon admiration pour Paolo Bacigalupi, je me trouve à présent à cours de louanges et de superlatifs. Que les lecteurs de ce blog interlope se rassurent néanmoins, si Ferrailleurs des mers se situe dans le haut du panier de la littérature Young adult, le récit de Paolo Bacigaluli est ici juste distrayant, mêlant les ressorts basiques de l’aventure à ceux du roman d’apprentissage. Je ne devrais donc pas faire preuve d’imagination pour redoubler d’enthousiasme.


Fin du XXIe siècle. Le monde va très mal, du moins pour sa frange la plus laborieuse et misérable, c’est-à-dire incapable de se payer un traitement génétique adéquat ou de s’offrir une vie de cocagne, à l’abri des excès du climat et de l’épuisement des ressources essentielles à la vie.


Nailer vit dans un bibonville côtier de Louisiane, dépouillant les tankers et cargos échoués de leurs composants recyclables. Main d’œuvre sacrifiable et corvéable à souhait, à la merci des moissonneurs, trafiquants d’organes sans scrupules, des accidents et des substances toxiques, fuel lourd et autre amiante, il récupère le cuivre dans les conduites des épaves. Tout ça pour un salaire de misère, mais avec l’espoir de faire une Lucky Strike, autrement dit le gros coup qui lui permettra de racheter son contrat de travail, échappant ainsi au servage et surtout à son père, un chef de gang un tantinet violent. Car Nailer rêve des grands espaces et de liberté. Une existence dont les clippers blancs naviguant au large, dressés sur leurs hydrofoils et propulsés par leurs paravoiles, lui livrent un aperçu fugitif à l’horizon.


Après la passage d’un « tueur de ville », un de ces cyclones surpuissants dont la régularité contribue à redessiner le trait de côte, l’adolescent découvre un clipper jeté à terre par les vents violents. Ragaillardi par la perspective de rafler les richesses qu’il recèle, il monte à bord en compagnie de Pima, sa cheffe d’équipe. Mais, le navire abrite une jeune fille ayant survécu au naufrage et un paquet d’ennuis…


Ferrailleurs des mers n’usurpe pas sa réputation de roman d’aventures dont on tourne les pages sans se prendre la tête. Des aventures dont le déroulé contribue à sortir les personnages de leur milieu respectif pour leur faire appréhender le monde et autrui avec un regard neuf, dépouillé de préjugés. Sur ce point, Paolo Bacigalupi ne déroge pas aux conventions du genre. Il remplit même toutes les cases avec un certain professionnalisme, livrant un récit non seulement divertissant, mais également propice à la réflexion.


L’auteur américain ne néglige pas en effet le décor futuriste. Les habitués se réjouiront de retrouver un worldbuilding cohérent, une sorte de présent décalé dans un avenir flirtant avec la dystopie, n’étant pas sans rappeler l’univers de La Fille automate ou de certaines nouvelles du recueil La Fille-flûte et autres fragments de futurs brisés. Ils se féliciteront également des thématiques abordées, perturbations climatiques liées au changement global, raréfaction des ressources, biotechnologie et lutte des classes renforcée. Bref, tous les maux d’une anthropocène à laquelle on doit se résoudre à s’adapter, du moins si l’on se fie au mantra libéral-capitaliste.


Des plages de Louisiane où grouille un quart-monde impitoyable aux espaces maritimes du Golfe du Mexique, en passant par les bas-fond des Orléans, déclinaisons successives de l’ancienne cité de l’embouchure du Mississippi, poussée au recul vers les hautes terres à cause de la montée des mers, la fuite de Nailer, Nita la « richarde » et de Tool, le mi-bête indépendant, dévoile un avenir dominé par une ségrégation sociale féroce. Un struggle for life où ne survivent que les plus forts. L’ancienne Louisiane est en effet devenue un havre de paix relative pour une populace ayant juré allégeance à l’un des clans ou l’un des syndicats ou gangs qui s’affrontent pour le contrôle des ressources. Une humanité portant le signe de sa servitude tatoué sur son épiderme et prête à défendre son pré carré coûte que coûte.


Paolo Bacigalupi élabore le décor de ce futur en empruntant ses composantes au présent dans les bidonvilles du tiers monde, slums et autres favelas. Il recycle la culture de la récupération qui y prévaut, transposant d’une façon très crédible les paysages des côtes du Bangladesh ou du Nigéria dans le sud des États-Unis.


Ferrailleurs des mers étant destiné à un public juvénile, Paolo Bacigalupi n’oublie pas d’articuler son récit autour de préoccupations intéressant l’adolescence, sans verser heureusement dans un idéalisme naïf. D’aucuns mettront à profit les aventures de Nailer, Tool et Nita, pour éprouver leur capacité à résoudre les dilemmes, à faire des choix moraux ou à s’émouvoir sur la condition des damnés de la Terre, dans un avenir sombre mais non dépourvu de quelque espoir. Car, après tout, la seule question qui importe n’est-elle pas quels enfants laisserons-nous à la Terre ? Nul doute qu’avec Nailer, il se trouve entre de bonnes mains.


Pas de surprise, Ferrailleurs des mers remplit amplement le contrat de lecture, donnant même envie de poursuivre l’aventure. Un vœu qui ne restera pas longtemps pieux avec Les Cité englouties, deuxième volume de la série « Ship Breaker ».


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leleul
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le 2 déc. 2018

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