Très belle biographie d'un homme controversé qui a régné sur l'Espagne pendant près de quatre décennies. Je ne savais quasiment rien du Caudillo si ce n'est qu'il faisait partie du trio tristement célèbre des dictateurs fascistes de la première moitié du XXe siècle avec Mussolini et Hitler. Même si, effectivement, la similarité entre ces trois régimes peut être frappante notamment lorsqu'on observe les dates de prises de pouvoir, le rejet commun du socialisme et du communisme (perçu comme un danger pour la nation), l'extermination des opposants politiques, l'instauration du culte du chef etc, le franquisme demeure un régime totalitaire propre à l'Espagne avec ses spécificités. Par exemple, il n'y a pas de politique raciale menée par Franco ni de discrimination juive officielle statuée par le gouvernement. Il n'y pas de volonté expansionniste en Europe ni de revanche à prendre sur tel ou tel pays. De plus, la Phalange espagnole (parti nationaliste et fasciste sur lequel Franco s'appuiera pour prendre le pouvoir puis pour diriger le pays à partir de 1936) est davantage un instrument à l'usage du chef, un levier politique, qu'un groupuscule extrémiste remportant l'adhésion intellectuelle du Caudillo.


Si l'on devait résumer brièvement, le franquisme est avant tout un régime militaire. Fervent défenseur du catholicisme et pro-monarchiste ayant pour fondement une réticence violente à l'égard du régime républicain responsable de la Terreur Rouge dans les années 30 (je vous invite à vous renseigner sur cet événement) et des partis politiques neufs pour l'époque : le socialisme, le communisme et les mouvances anarchistes. Ces idéologies, selon lui, sont responsables du désordre social, des troubles spirituels que traversent l'Espagne (environ 50 000 religieux assassinés) mais aussi complices de la misère ouvrière. Enfin, l'humiliation subit par la famille royale d'Alphonse XIII puis par l'église catholique espagnole tout comme la perte de territoires d'outre-mer participent vivement au projet de coup d'état militaire de 1936 dont Franco, circonspect, retardera pendant longtemps le déclenchement.


Il est certainement difficile de l'admettre pour nos antifas (les fameux Ghostbusters contemporains) mais Franco a participé au redressement économique du pays en crise et a su s'entourer d'individus compétents n'adhérant pas systématiquement au régime. La transition démocratique tant redoutée par Franco a également pu avoir lieu dans les meilleures conditions possibles grâce à l'assouplissement, certains parleront de dévoiement, de son principe d'autonomie, de souveraineté nationale en prenant part, à partir des années 50-60, au commerce international. Soutenu par les États-Unis puis par l'Union Européenne au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, Franco fut pendant près de vingt ans honni par les régimes démocratiques occidentaux qui lui reprochaient son totalitarisme et ses accointances avec les régimes d'Hitler et Mussolini durant la guerre de 39-45. L'habileté stratégique de Franco se trouve dans sa politique du "ni...ni" (à la mode, n'est ce pas): ni Hitler ni la république démocratique. Grossièrement, ni les "méchants, ni les gentils", enfin en théorie, car si la bascule dans le camps des "méchants" s'est joué à très peu de chose le dictateur espagnol acceptera, dans une logique de survie, de collaborer avec l'Occident après la guerre. Ce positionnement ambivalent s'expliqua par le manque de moyen militaire à la disposition du dictateur pour s'enrôler aux côtés de l'Axe (qui faisait des appels du pied) après une guerre civile dévastatrice pour l'économie espagnole ; deuxièmement par les revers militaires subis par Hitler à partir de 1942 qui ont dissuadé le Caudillo d'offrir son soutien. En revanche, l'absorption du franquisme dans le libéralisme économique se fera dès les années 50, soit durant la guerre froide, et ce malgré les nombreuses réticences des partisans souverainistes. Les américains proclameront d'ailleurs Franco "phare de l'Occident" contre le communisme et l'U.R.S.S. de Staline au moment où les blocs de l'Ouest et de l'Est s'affronteront idéologiquement.


La protection des U.S.A. auprès des instances internationales est précieuse pour Franco car elle rendra "décente" la fréquentation de son pays par les occidentaux. Ce soutien n'est évidemment pas gratuit car il permit aux américains l'installation de bases militaires en Espagne pour surveiller les russes. La tolérance et les valeurs démocratiques ont toujours été à géométrie variable, rien de neuf. Bien souvent ce sont les intérêts financiers ou privés qui priment, nous le constatons encore aujourd'hui.


Franco a donc pu régner sur l'Espagne pendant près de quarante ans sans crainte réelle de voir son régime renverser dès la fin de la guerre. Il s'est par ailleurs chargé de l'éducation du jeune monarque Juan Carlos qu'il voulait comme successeur afin de parachever sa politique en remettant la couronne royale au pouvoir. Il est mort de sa belle mort en 1975 avec la crainte justifiée que son régime ne lui survivrait pas. À ma connaissance, les opinions de personnes ayant vécu sous le régime franquiste sont encore aujourd'hui très tranchées.


Bartolomé Bennassar, brillant historien spécialiste de l'histoire moderne espagnole, a lui même connu le régime franquiste dans les années 60-70 au moment où la poigne de fer du Caudillo était déjà largement plus souple. Impartial, précis, s'attelant à relater le destin de ce militaire précoce doué pour le commandement, Bartolomé ne verse pas dans le sensationnel ni dans la passion. Sans complaisance déplacée ni procès, cette biographie sonne juste car l'auteur est capable d'énumérer les bienfaits du "règne" de Franco comme les évidentes violations aux libertés fondamentales et meurtres politiques. Bennassar nous livre une biographie historique, politique et psychologique de Franco permettant de comprendre l'homme derrière la fonction. Très bonne lecture.

silaxe
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le 31 mai 2017

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