Il faut dire qu'on fait difficilement plus efficace, plus fort et plus clair que l'écriture de Pierre Bourdieu. Un professeur de sociologie absolument brillant qui s'attaque ici à un sujet difficile et délicat : la domination masculine dans les sociétés androcentriques. Bourdieu fait le constat que la domination masculine, dans la plupart des sociétés anciennes et modernes, est conçues, de manière consciente et inconsciente grâce aux structures sociales et cognitives, pour être éternelle et invariante. De fait, l’inégalité homme/femme dépasse le simple cadre de '"l'homme macho", par pur plaisir pervers de soumission de l'autre genre... En effet, la domination masculine et la virilité qui en découle sont inculquées chez le jeune garçon dès son plus jeune âge, et reléguées par des entités sociales structurelles comme la famille, l'école, l'Etat ou la religion qui perpétuent ce modèle patriarcal et le conditionnement de la femme à se situer toujours en rapport au modèle masculin, qui lui, se considère comme continu, fini et véritable. La notion même de féminité est, pour le sociologue, une construction masculine située à l'exact antithèse de la notion de virilité. La féminité serait donc, par essence, l'acception de la femme à son propre statut de dominé. Bourdieu poursuit sa démonstration en multipliant les exemples de cette domination que ce soit dans les divers espaces publiques ou privés, où évoluent les hommes et les femmes qui sont pour la plupart sexués et sexuants, dans les milieux professionnels, où les relations entre les hommes et les femmes sont particulièrement ritualisées (le médecin et l'infirmière ou le patron et la secrétaire), l'injustice pour les femmes d'accéder à des métiers longtemps considérés comme masculin et qui perdent de leur valeur, une fois les femmes majoritaires à ces postes... Le livre traite également des considérations sexuelles, de la valeur des mots mêmes avec les antonymes chaud/froid, dessus/dessous, droite/courbe, sec/humide mais aussi de la valeur symbolique forte chez l'homme du phallus et du vagin (avec un passage fabuleux sur le gynécologue et sa patiente p.30-31). La relation de l'homme à l'homosexualité est traitée, la valeur de la féminité chez la femme mais aussi la part de celle-ci chez l'homme dans nos sociétés d'aujourd'hui et d'hier. Bref, beaucoup de notions condensées en 168 pages mais toujours de manière très didactique, avec un déroulement de la pensée clair et limpide. Personnellement, je ne suis pas toujours 100% d'accord avec les idées de Pierre Bourdieu car au fil de la lecture, on a la désagréable impression que l'homme a savamment et sciemment orchestré la mise en place de cette immense machine à domination mondiale et à servitude des femmes. Je pense que, dans la plupart des sociétés androcentriques, l'homme était, certes le premier bénéficiaire de cette position confortable de supériorité et qu'il en jouissait évidemment consciemment puisqu'il n'a jamais cherché à la remettre en cause (du moins pas avant le XXe siècle), mais qu'il était surtout pris à son propre piège, de jouer cet espèce de rôle de dominant dans toutes les situations, dans toutes les sphères sociales, culturelles et politiques. Une domination masculine implicite qui, à juste titre aujourd'hui au XXIe siècle, est de plus en plus vécu comme un fardeau presque un carcan pour les nouvelles générations d'hommes qui, pendant longtemps, ont fondé leur identité masculine sur des notions culturelles artificielles comme la virilité, la galanterie, l'initiative de la séduction comme l'apanage de l'homme etc. Et qui pour la plupart, aujourd'hui n'ont presque plus aucun sens.
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