Frank Zappa : un nom que tout le monde a déjà entendu, mais dont pratiquement personne n’arrive à citer une chanson. Il aura été l’incarnation musicale de l’expression « nul n’est prophète en son pays », un Homme Musique, et a dédié sa vie à ses fanfaronnades. Pour raconter son œuvre surdimensionnée comme l’homme intransigeant, Christophe Delbrouk décide de passer par la voie de la trilogie : un premier tome pour les années 60, quand il était en phase avec son époque tout en étant complètement à contre-courant (« Freak Out ! » - « Just another band from L.A »), les années 70 qui sont, comme pour la plupart des artistes, son apogée (« Waka Jawaka » - les albums épars de « Lather »), les années 80 où l’industrie musicale rock ne voudra plus de lui (« Sheik Yerbouti » - « The Yellow Shark »).


Delbrouk, comme tout vrai bon biographe, accomplit ici un travail encyclopédique, où toute l’âme de Zappa avec ses qualités et défauts revit, en nous racontant sans détour les différentes opinions à son sujet ainsi que ses aventures/mésaventures. Il est d’ailleurs étonnant qu’en parlant de certaines œuvres de Zappa, il rend confus l’objectif et le subjectif ; par exemple, il peut décrire d’abominable une chanson, en précisant plus tard qu’elle avait vocation à l’être formellement (et ça n’en manque pas chez l’ami Frank). Les traductions des chansons sont des régals, en particuliers celui de « Flakes » et de « Greggery Peccari ». En fait, contrairement à beaucoup d’autres biographies, Delbrouk reste presque entièrement concentré sur l’œuvre de Zappa ; sans doute parce que sa vie familiale n’existait pas beaucoup, mais tout de même, on a presque l’impression que Gail était une machine à enfants, alors que pas du tout… Pas un mot sur la mort des parents de Zappa non plus, pourtant cela me semble primordial d’en parler (Kubrick n’est pas allé à l’enterrement des siens, mais John Baxter en a quand même bien parlé dans sa biographie, parce que c'est signifiant). Mais son admiration pour son travail, en particuliers les œuvres symphoniques, embarque le lecteur dans la passion Zapaïenne, où tout devient possible. Et la certitude qu’il n’y aura plus jamais d’autre Zappa, que personne ne peut être influencé par lui sans que cela se remarque. Même son engagement, complètement désespéré, dans la politique vers la deuxième moitié des années 80, est parfaitement retranscris et semble complètement fou : Zappa avait de meilleures relations avec la Hongrie que les diplomates Américains, il a failli les représenter officiellement ! De façon générale, le portrait politique de Zappa est sans fioritures, et je remercie infiniment Delbrouk d’avoir retranscris la défense de Zappa pour le procès de « 200 Motels » à Londres : c’est délicieux de surréalisme, et tout est vrai (« Vous parlez dans une de vos chansons d’une femme qui s’assoit sur le visage d’un homme, qu’avez-vous à dire à cela ? » « Qu’elle voulait s’assoir sur le visage d’un homme » « Hum… Ce n’est pas une position très confortable pourtant »… C’est magnifique).


Je voudrais également « spoiler » la fin de la trilogie, parce que même cela est inhabituel dans les biographies : « Quelques dernières équalisations égyptiennes. Peut-être même un peu d’avance sur « Dance Me This », si tout va bien. Samedi 4 Décembre 1993. A Laurel Canyon, la colline des freaks affamés. Frank Zappa est mort. Fin» voilà qui a le mérite d’être clair : un monde meurt à l’instant même où son créateur est mort. Pas d’épilogues, pas de mots sur son héritage musical ou sur l’effet chez ses proches, pas de commentaires sur les hommages des médias (en France et en pays Nordiques, ça avait fait remuer ; il avait également des fans comme Terry Gilliam et Matt Groening !). J’ai été franchement surpris, mais je crois que l’effet « Fin d’un monde » valait bien le coup de ne pas avoir des informations complémentaires sur le posteriori.
En somme, si vous êtes amateur de Zappa, vous devez absolument lire cette trilogie : elle peut faire peur par sa grosseur, mais je vous assure que ça se lit avec beaucoup de fluidité (j’y ai passé que 6 mois sur l’ensemble, et je lis lentement).


Petit cadeau bonus inutile, j’énumère les points communs avec Léo Ferré. Parce que je fais ce que je veux.
- Ils sont autodidactes, et sont tous les deux réputés pour la difficulté de leurs partitions (bon plus Zappa que Ferré bien sûr, mais quand même)
- Tous les deux étaient en grand conflit avec leur père
- Ils sont tous les deux libertaires, tous les deux censurés
- Si on compte que Ferré considérait Annie, la fille de Madeleine, comme étant sa fille, ils ont tous les deux eu 4 enfants, aux noms signifiants
- Ils ont pratiquement explosé la même année aux yeux du grand public, c’est-à-dire en 1969 (« L’été 68 » pour Ferré, « Hot Rats » pour Zappa)
- Tous les deux organisaient eux-mêmes leur propres tournées et investissaient leur argent personnel
- De façon globale, eux deux ont eu une productivité record dans leur domaine respectif, et il y a encore à l’heure actuelle des albums posthumes qui ressurgissent d’archives personnelles
- Même si tardivement, Ferré a jouit d’une totale indépendance comme Zappa à partir de 1976 (Zappa, lui, l’était dès 1967)
- Ils étaient tous les deux blasés de la musique dans les années 80, ne se reconnaissant pas dans cette décennie pas très avantageuse pour la musique
- Tous les deux n’ont jamais été des superstars, justement parce qu’ils ont assumés jusqu’au bout des œuvres exigeantes, tout en s’érigeant une grande renommée et des tournées à guichets fermés. Il y a d’ailleurs trois genres auxquels ils ont touché ensemble sans le faire vraiment : Ferré a vite fait utilisé un jazz gentillet à ses débuts alors que Zappa l’a laissé l’influencer toute sa carrière jusqu’à inventé le jazz fusion ; Ferré s’est appliqué au rock dans une parenthèse, et s’est illustré dans le classique mais dans la mouvance romantique, alors que Zappa est pleinement dans le contemporain
- Ils sont morts en 1993 (la main à Ferré, lui est mort plus rapidement et moins douloureusement que Zappa).

Billy98
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le 11 mars 2021

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Billy98

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