Avec Géohistoire de la mondialisation. Le temps long du monde, Christian Grataloup, professeur de géographie à l’Université Paris-VII Diderot et chercheur au sein de l’équipe Géographie-Cités, pose une pierre supplémentaire à la compréhension du phénomène de la mondialisation dans son historicité la plus large. Il contribue par là même, à décloisonner ces deux disciplines que sont l’histoire et la géographie, en adoptant un regard historique sur un fait éminemment géographique, et un éclairage géographique sur des questions qui ont la part belle dans l’historiographie, au moins depuis Fernand Braudel. Si l’ampleur de la tâche, au regard de la vaste chronologie et de l’étendue spatiale – le Monde – de l’objet, apparaît titanesque voire rédhibitoire, elle ne doit pas occulter les avantages que l’adoption d’une telle échelle peut procurer. En effet, peuvent être ainsi mis en exergue les circulations, les réseaux, mais par-dessus tout, le temps long, cher à Braudel. Saisir le Monde dans toute son épaisseur ne revient pas à écrire une histoire universelle ou une fresque mondiale depuis le Néolithique, loin de là, car Grataloup rappelle que « le monde fut longtemps inexistant » (p. 15) – il fallut en effet attendre les « Grandes Découvertes » pour que l’ensemble de l’humanité entre en interaction. Il s’agit, à travers ce manuel qui prend plutôt les formes d’un essai, de prendre le pouls de cette mise en connexion progressive des différents espaces, en étant attentif à la diversité et à l’originalité des trajectoires afin de ne pas sombrer dans la téléologie occidentaliste de la mondialisation, qui voudrait que l’avance de l’Europe ait été inéluctable. En soulignant le poids et les héritages de l’ « Ancien Monde » sur le Nouveau, l’auteur de L’invention des continents invite à comprendre la mondialisation comme un processus lent, aux racines anciennes, multiséculaire, mais non exempt de contradictions. On peut aussi y palper tout le poids de la global history et de la connected history, courants historiographiques visant à dépasser les cadres d’approches nationaux et les cloisons chronologiques, dont la réception en France fut particulièrement tardive.

Enraciner l’histoire dans l’espace, et inscrire la géographie dans le temps ; tel pourrait être en définitive le leitmotiv de cet ouvrage passionnant. En changeant d’échelle d’étude voire de point de vue, Grataloup se bat contre une vision européo-centrée du monde. Avec l’utilisation de cartes aux projections et centrages variés – dont on peut souligner la potentielle valeur heuristique et pédagogique –, il contribue à traduire visuellement cette volonté de déplacer l’angle de vue et le curseur. Le géohistorien s’inscrit par ailleurs amplement dans le sillon des travaux refusant de centrer la focale sur l’Europe occidentale, à l’image de ceux de Kenneth Pomeranz sur le différentiel de développement entre l’Angleterre et la Chine, mais aussi de ceux qui ont souligné le poids du métissage et de l’hybridation, comme Serge Gruzinski, avec La pensée métisse ou La colonisation de l’imaginaire. Ces sources d’inspiration, conjuguées à celles que constituent Fernand Braudel et Olivier Dollfus, qu’elles soient manifestes ou latentes, font du travail de Grataloup un archétype on ne peut plus révélateur de ce que peut être une géohistoire soucieuse des contextes et des localisations.
Cependant, cet ouvrage, de par l’éventail des phénomènes traités, laisse un léger arrière-goût d’insatisfaction ; car même si l’auteur affirme que les faits étudiés « ne constituent pas un objet si énorme qu’il ne puisse être saisi » (p. 14), on ne peut s’empêcher de penser qu’une telle volonté de globalisation, et que le choix d’une telle échelle, doivent nécessairement mener à des simplifications et à des raccourcis. En outre, l’option scalaire vers laquelle s’est tournée Grataloup interdit de se fixer sur les dynamiques et les conflits internes aux sociétés, puisque sont privilégiés des entités et des systèmes englobant, dont on peut questionner l’unité – il en va ainsi de l’Europe, de la Chine. Surtout, l’auteur s’intéresse finalement peu aux retombées régionales voire locales de la mondialisation, alors que la démarche géographique voudrait a contrario faire de l’analyse multiscalaire la condition sine qua non d’une compréhension des phénomènes. En dépit de ces nuances, l’ouvrage de Grataloup demeure une synthèse efficace, un manuel commode, en même temps qu’un outil pédagogique important pour les enseignants – il faut voir à quel point les idées développées dans ce livre ont nourri et inspiré les programmes de seconde et première.
Yananas
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le 2 juil. 2013

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