De la grandeur
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Concomitamment à la sortie aux éditions Lux de l’ouvrage Orwell à sa guise (George Woodcock), Flammarion réédite la biographie-fleuve que Bernard Crick a dédiée à George Orwell. Si les deux ouvrages se recoupent pour partie, c’est davantage dans leur manière de portraiturer l’« écrivain politique » que de restituer les pans de son existence – Woodcock n’en ayant jamais vraiment eu la prétention. Sur sa conception de la liberté ou du patriotisme, sur ses positions anticommunistes, sur son style littéraire, sur sa manière de compartimenter ses amitiés, sur la mesure avec laquelle il traitait des personnalités telles que Rudyard Kipling, sur la grandeur de son œuvre rapportée à celle de sa personne, Woodcock et Crick parviennent à des convergences rarement contrariées.
L’ouvrage de Bernard Crick est un sacré pavé. L’ancien conseiller du parti travailliste britannique s’étend durant plus de 700 pages sur la vie et l’œuvre de George Orwell. Il s’épanche d’abord longuement sur son enfance et sa scolarité à St Cyprian – douloureuse et rendue possible grâce à l’obtention d’une bourse –, puis à Eton. On le découvre ensuite dans la police impériale en Birmanie, expérience qui nourrira en profondeur son anticolonialisme. Ses séjours à Paris et à Londres, sa période dans le dénuement, ses carrières de libraire, de journaliste et d’écrivain, ses rencontres et mariages avec Eileen O’Shaughnessy et Sonia Brownell, son engagement dans la guerre d’Espagne au sein du POUM, ses publications littéraires font l’objet de descriptions détaillées souvent remises en contexte par des propos rapportés, parfois de première main.
De la revue Tribune aux bas-fonds parisiens ou londoniens, de Hommage à la Catalogne à 1984, c’est tout le parcours de George Orwell que Bernard Crick s’échine ainsi à éclairer. L’écrivain britannique apparaît éminemment humain, doté d’un sens politique spontané, en empathie sincère avec les plus démunis, plus visionnaire que théoricien. À mesure qu’on se penche sur la vie d’Orwell, l’envie de redécouvrir son œuvre gagne en intensité. Il n’est d’ailleurs pas rare que les deux histoires, intime et littéraire, entrent en résonance l’une avec l’autre. Et ce qui semble édifiant dans le cas de l’Espagne (participation au conflit, suivi d’un essai) l’est peut-être tout autant pour l’anti-totalitarisme ou la novlangue de 1984. À l’aide de témoignages et de sources disparates, Bernard Crick explore les hypothèses les plus plausibles pour narrer et décrypter George Orwell. L’influence de son passage à la BBC ou les raisons l’ayant mené en Espagne sont par exemple encore discutées, mais le biographe, avec toute la prudence nécessaire, élabore le narratif le plus probable à ses yeux – et explique pourquoi.
Qui était Orwell ? Bernard Crick consacre quelque 720 pages à cette question. En enlever une quelconque partie reviendrait à diminuer considérablement sa démonstration. On peut toutefois en livrer cette version (très) abrégée, que le lecteur découvrira dès l’introduction : « Orwell en vint à se considérer comme un « écrivain politique », et les deux mots revêtaient une égale importance. Il ne se présentait pas comme un philosophe politique, ni même comme un simple polémiste politique ; il était écrivain, un écrivain que tout intéressait, auteur de romans, d’ouvrages réalistes que je nommerai « reportages », d’essais, de poèmes, et d’un nombre incalculable de critiques littéraires et d’articles de presse. Mais si ses meilleurs écrits ne furent pas toujours explicitement politiques par le choix des sujets traités, ils manifestaient en permanence une conscience politique revendiquée. Il est en un sens l’écrivain politique britannique le plus subtil depuis Swift, le satiriste, le styliste, le moraliste et le polémiste qui l’influença tant. »
Sur Le Mag du Ciné
Créée
le 8 nov. 2020
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