Écrit il y a près de 15 ans, mettant en scène une génération qui n’est pas la mienne et des personnages avec qui je n’avais pas grand-chose en commun, Girlfriend in a coma m’a pourtant si bien parlé que j’ose y percevoir quelque chose d’universel et même d’intemporel, alors même que le temps qui passe est un des thèmes majeurs du roman de Coupland.
Beaucoup semblent y avoir vu un « roman new age » (sans doute de part son dernier tiers, mêlant philosophie et surréalisme presque fantastique), pour ma part, je n’ai jamais trouvé dans ces pages la volonté de décrire un mouvement, mais bien un état d’esprit, pas tant un « mal être » qu’un « pourquoi être ? » qui a rarement été plus d’actualité.

A priori, pourtant peu de matière pour me reconnaître dans la galerie de personnages, éternels adolescents trompant leurs désœuvrements respectifs par un trop plein d’alcool, de drogue ou de travail… S’il est plus facile de se sentir proche de Karen, adolescente coincée dans un monde qui ne lui est plus familier, il faut peu de temps pour réaliser que tous ses amis se sont retrouvés dans la même situation qu’elle, ou inversement, qu’elle a suivi le même cheminement que le reste de son groupe, son coma apparaissant comme une autre variation de la fuite. Mais si Karen semble fuir un futur effrayant, ceux qui restent semblent juste ne pas le voir arriver, ou se moquer de ce qu’il apportera. Coupland décrit là une génération qui n’est unifiée par aucun grand projet, dont l’individualisme confine une solitude assez insupportable et à l’impossibilité de s’accomplir. L’auteur ne prétend pas en soi décrire un phénomène social par le biais de ses protagonistes, le roman se contentant fort heureusement de les suivre eux et seulement eux, mais ceux-ci sont si réels, attachants en ce qu’ils ont bien de plus triste, et leurs destinées si proches les unes des autres en dépit de leurs différences et de leurs personnalités bien distinctes que quelque chose prend, qu’on finit par voir là une vérité universelle.

Le fond alors plus riche qu’il n’y parait est soutenu par une forme très intéressante, qui arrive à créer, si non un suspens, une envie permanente de lire la suite alors même que la structure du livre est annoncée d’entrée de jeu par le premier narrateur. Divisée en trois parties, elle prend le parti de ne presque jamais donner dans l’ellipse et de suivre les destins (ou plutôt, les non destins) du groupe de Karen dix-sept ans durant, montrant la déconstruction progressive (ou brutale) de leurs rêves, de leurs perspectives d’avenir.

Et pourtant, Girlfriend in a coma n’est jamais un livre déprimant, car ne se borne pas à un constat d’échec, délivrant une sorte de message à la fois logique et fou, celui d’aller au bout des choses, de tenter de tout vivre… Ses thèmes tristes ou sérieux n’empêchent pas l’omniprésence de la fantaisie, d’une certaine forme d’humour…

En ne donnant pas d’explication logique, scientifique ou factuelle, en amenant les réponses par le fantôme de Jared (narrateur décédé dès la première ligne) unanimement reconnu et accepté par les vivants, Coupland fait de son Girlfriend in a coma un roman plus surréaliste et poétique que « new age » ou même conceptuel. Rêvée ou réelle, sa vision de la fin du monde se fait plutôt fin d’un monde, n’a rien d’une apocalypse sanglante, prenant plutôt des allures de nouveau départ, de seconde chance. Une jolie idée pour un très joli roman.
Julie_D
8
Écrit par

Créée

le 18 févr. 2014

Critique lue 217 fois

Julie_D

Écrit par

Critique lue 217 fois

D'autres avis sur Girlfriend dans le coma

Girlfriend dans le coma
Pomme
6

C'est... Mais... Je... Pfff... Pourquoi ?

Quelle déception. Queeeelle déception. Je m'explique : c'est le premier bouquin de Douglas Coupland que j'ai l'occasion de lire. Je sais qu'il a écrit quelques trucs appréciés dans mon entourage, on...

le 29 juin 2010

1 j'aime

Girlfriend dans le coma
Naroungas
9

Critique de Girlfriend dans le coma par Naroungas

" Nous supplierons les passants de comprendre la nécessité de poser des questions, encore et encore, de ne jamais cesser de s'interroger jusqu'à ce que le monde s'arrête de tourner sur son axe. [...]"

le 2 févr. 2014

Girlfriend dans le coma
danieldealmeida
8

Critique de Girlfriend dans le coma par danieldealmeida

Comme d'hab avec Coupland : l'auteur semble parfois se foutre de son histoire et a des faiblesses de rythme dans le premier tiers du livre. Mais comme d'hab aussi, un incroyable talent pour parler de...

le 15 juin 2012

Du même critique

Batman Begins
Julie_D
8

Critique de Batman Begins par Julie_D

Ce qui différencie Batman de la plupart des super-héros ayant droit à leur adaptation cinématographique, c'est qu'il n'est justement pas un super-héros. Dans Batman Begins, Nolan pousse cette...

le 15 août 2010

90 j'aime

8

Inception
Julie_D
7

Critique de Inception par Julie_D

Cruel paradoxe que les choses écrites par les auteurs qu'on aime le plus : du très bon boulot auquel on aurait apposé un 9 si pondu par un réalisateur lambda déçoit ici de la part de Nolan. Bien sûr...

le 27 juil. 2010

69 j'aime

4

Fascination
Julie_D
2

Critique de Fascination par Julie_D

Il faut bien l'admettre, je partais avec un a priori négatif de cet énième best seller pour ados mettant en scène une romance vampirique. La lecture de quelques pages de la traduction française ayant...

le 14 août 2010

57 j'aime

5