Un livre probablement difficile à trouver désormais dans le commerce mais qui présente l’avantage d’évoquer Goya en tant que personne, peintre et homme de son époque, sans pour autant assommer le lecteur avec un discours trop pointu. Pour autant l’auteur ne se contente pas d’un texte bateau pour accompagner des illustrations choisies. Il a le bon goût d’expliquer l’enchaînement des circonstances qui ont fait de Francisco Goya un artiste de tout premier ordre, tout en restant prudent sur chaque point incertain, ce qui ne manque pas.
Premier point remarquable chez Goya, sa longévité (1746-1828) qui lui a permis de vivre pas mal d’événements importants et de se faire sa place dans certains milieux : la monarchie et l’académie de peinture espagnole.
Autre point remarquable, sa lente éclosion vers l’épanouissement artistique, marquée par plusieurs échecs avant d’entrer à l’Académie (sous-directeur de la peinture à l’Académie de San Fernando en 1785), puis de devenir peintre officiel du roi (1786). L’auteur explique ce que ses rencontres et ses voyages (notamment en Italie) ont apporté à Goya.
La vie de Goya a également été marquée par ses relations avec plusieurs femmes, Josepha Bayeu qu’il a épousée, mais également la duchesse d’Albe dont il fut peut-être l’amant avant qu’elle meure, enfin Leocadia Weiss qui le rejoignit dans son « exil » français à Bordeaux et dont il fut peut-être là aussi le père de son enfant (une fille).
La vie de Goya fut marquée par des événements qui ont eu une influence sur son physique. Une grave maladie qui faillit lui être fatale le rendit définitivement sourd dès 1794. Une autre grave maladie lui fait voir le monde sous un jour extrêmement noir sur la fin de sa vie, ce qui lui a inspiré des toiles à tendance fantastique exprimant une grande angoisse. Enfin, Goya a vécu l’invasion de l’Espagne par l’armée napoléonienne. Invasion qui entraina un soulèvement populaire dont il fut le témoin. Soulèvement suivi de massacres abominables (fusillades du 3 mai). Événements tellement marquants qu’il fut capable d’en faire des toiles incroyablement marquantes des années après, de mémoire.
Ce livre relativement bref (114 pages en caractères assez gros, le tout comprenant 73 illustrations dont de nombreuses en couleurs et en pleine page), permet au lecteur de se faire une bonne idée de l’homme comme de l’artiste, ainsi que de ce qu’il connut de son époque. L’auteur, Pierre Gassier, se montre à la fois pédagogue et suffisamment concis. Il aborde aussi bien l’évolution technique du peintre que ses relations avec les uns et les autres pour progresser ou s’introduire dans les milieux qui lui permettront de gagner sa vie.
L’éditeur (Skira-Flammarion) a fait un beau travail, puisque le livre édité en 1989 était encore en bon état quand je l’ai emprunté en médiathèque, en particulier pour les couleurs des reproductions. Tout juste peut-on regretter à certains moments que les illustrations n’accompagnent pas parfaitement le texte, puisque l’auteur préfère citer les musées et collections où les œuvres sont conservées plutôt que les pages où les voir dans le livre. L’explication tient probablement au fait qu’il s’agit d’une version plus courte que l’édition d’origine qui date de 1955.
Les œuvres importantes sont présentes (gravures, estampes, dessins et toiles) généralement dans des formats corrects, une seule occupant une double-page à cause de son format inhabituel. On trouve les plus belles et les plus représentatives de l’art d’un expérimentateur qui annonçait déjà l’impressionnisme, mais qui a surtout su faire preuve de beaucoup de caractère pour imposer un art très personnel.
Cet art est représenté notamment par :
L’ombrelle : carton pour la manufacture royale de tapisserie (1777)
Portrait de Manuel Osorio (1788)
Plusieurs autoportraits (1783 ? 1793/95 ? 1815) dont celui-ci
L’enterrement de la sardine (1808/1815)
Portrait de la duchesse d’Albe (1795)
Le sabbat des sorcières. Le grand bouc (1797/98)
La famille de Charles IV (1800/1801)
La Maja nue (1800/1803)
Le 2 mai 1808 (1814)
Les fusillades du 3 mai (1814)
De cette dernière toile, Pierre Gassier dit « … c’est de très loin le tableau d’histoire le plus dramatique qui ait jamais été peint, encore que sa portée dépasse largement le cadre du tableau d’histoire traditionnel. » « … Goya choisit le moment le plus horrible de la tuerie, la seconde précise de l’épouvante, juste avant la décharge du peloton d’exécution qui met en joue un groupe de condamnés ; dans la nuit trouée par la lumière crue d’une énorme lanterne, cet instant de silence atteint un degré d’atrocité insupportable … tout concourt à faire de ce tableau prodigieux la somme de la barbarie humaine. » « A vrai dire, ni le lieu, ni l’heure, ni la date ne comptent plus ici : le temps et l’espace sont abolis par cette vision géniale où tous les détails seraient à citer un par un. »
Petit regret néanmoins, bien que commentées, des toiles importantes ne figurent pas dans les illustrations : Les jeunes et Les vieilles du musée de Lille, ainsi que La Maja habillée toujours intéressante à comparer avec son équivalent nue.