Il s'agit de mon deuxième livre d'Handke et il est assez différent du premier (L'Absence, publié 6 ans plus tard). Le style et l'objet des deux livres varient pas mal : déjà après deux livres on sent qu'il y a une œuvre plurielle et complexe à explorer, rendant l'auteur assez réjouissant.
L'Absence était étonnant dans sa production de paysages et de situations par plein de petites de description lacunaires et évocatrices, usant d'un vocabulaire presque désuet par sa précision. Ce qui était évoqué était difficilement intelligible, mais en se concentrant on ressentait un vrai plaisir de figuration parallèle à l'écriture de l'auteur.
Dans Histoire d'enfant, le cœur du livre est l'introspection du personnage principal vis-à-vis de sa relation avec son enfant et des incidences de cette relation sur sa façon d'envisager le monde. L'objet de ce livre est donc beaucoup moins physique, beaucoup moins matériel. Les descriptions des réflexions et des pensées du personnage principal restent lacunaires et volontairement énigmatiques, mais on retrouve ça et là des éclats de clarté et d'ironie, facilement compréhensibles. Ces moments nous donnent les clefs pour comprendre la puissante mélancolie du personnage, pour dénouer quelque peu le nœud profondément intriguant que Handke écrit. C'est extrêmement dense mais, comme pour L'Absence, une lecture rigoureuse permet au lecteur de construire sa compréhension à partir d'un matériau stylistiquement superbe mais imparfaitement intelligible. La force d'Handke réside pour moi là dedans, pour l'instant du moins, dans cette capacité à stimuler une lecture profondément active et à la récompenser d'images et de réflexions merveilleuses - si on se donne la peine d'essayer d’interpréter plutôt que d'enchaîner les pages. En plus, ces images et réflexions concernent tous les sujets, notamment des trucs triviaux. Il pose un regard sur tout, mais sans l'esthétiser d'une manière sirupeuse, il secoue juste un peu tout ce qu'il voit.
Du coup, la lecture est exigeante, mais ses bouquins sont courts. Un tel procédé serait sûrement fatiguant sur un livre de 300 pages et plus, mais je suis quand même curieux de tenter certains de ses écrits plus longs.
Le roman a une particularité très chouette. Le narrateur est en point de vue interne et le texte est écrit à la troisième personne mais souvent, en fin de chapitre, le "je" s'invite, comme ça, sans crier gare. Ç'aurait pu n'être qu'un effet de manche, mais la complexité et la richesse des pensées du narrateur sont telles que lecteur ne peut pas être trompé : il y a énormément de l'auteur là dedans. Le "je" arrive donc abruptement mais naturellement, d'une certaine façon il vient reconnaître l'intelligence du lecteur et renforcer sa connivence avec l'auteur, pour que les deux puissent d'autant plus collaborer à la pertinence et la beauté de ce qui est écrit.