L'Époque d'Edo (1603 - 1868) a vu trois écrivains se distinguer, chacun dans leur genre : Bashô dans le haïku, Chikamatsu dans le théâtre et Ihara Saïkaku dans des textes en prose qui dépeignent la vie urbaine d'alors, à Edo, donc, ou à Ōsaka, sa ville natale. On est frappé par ce réalisme des petites choses, cette recherche du détail, qui dans Vie d'une amie de la volupté, pouvait être assez étourdissante. Avec ces Histoires de marchands, la vue d'ensemble est peut-être moins négligée par le conteur, au détour d'une généralité ou d'une fabuleuse description.

À l'ouest du pont de Naniwa s'alignent à perte de vue les maisons de milliers de courtiers, et les murs blanchis des magasins le disputent en éclat à la neige au point du jour. Les sacs de riz s'entassent en pyramides comme autant de montagnes qui se seraient déplacées, et quand partent les files d'hommes et de chevaux, l'on dirait d'un tonnerre souterrain qui ébranle les grands chemins. Chalands et barques à l'infini voguent sur les flots des rivières, comme feuilles de saule au vent d'automne, et les piques à riz que des jeunes gens manient avec vigueur semblent une forêt de bambou où gîte le tigre; les feuilles de registres tourbillonnent et les boules des abaques crépitent comme grêle; sur les trébuchets, le maillet sonne plus haut que la cloche qui annonce deux fois six heures, et le vent qui de la fortune agite les tentures des portes.

Histoires de marchands contient cinquante textes de trois ou quatre pages, au cours desquels on passe souvent d'un personnage à un autre ; cent personnages qui rencontrent l'infortune ou la fortune en espèces sonnantes et trébuchantes (à ce propos, le traducteur fait là un choix vraiment très discutable qui est de remplacer la monnaie japonaise de l'époque par doublons, écus et deniers). Saïkaku décrit diverses façons d'ordonner sa vie, des tempéraments : vivre au jour le jour ou voir à longs termes n'ont pas les mêmes conséquences. La galerie des caractères s'étend, pingres, roublards, sages ou ingénieux, ayant des ambitions plus ou moins grande sinon excessive. Il est si difficile de gagner de l'argent, si facile de le perdre, clame les personnages à plusieurs endroits, et pourtant nombre d'entre eux de découvrir des moyens d'en acquérir rapidement : les japonais de l'époque tenaient Histoires de marchands pour "un traité sur l'art et la manière de faire fortune"... bien qu'il n'y ait pas d'accord parfait entre les différents discours du livre : épargne, crédit, abstinence, chance ou talent sont tour à tour fin mot de l'histoire. Mais pour nous, ces Histoires de marchands contiennent des témoignages plutôt vivants (bien qu'assez répétitifs) d'une minuscule comédie humaine en quelques sortes, d'une société partagée entre les riches et les pauvres, mais où les rôles changent souvent.

Lu du 8 au 17 septembre 2022. Traduit du japonais par René Sieffert ― 300 pages (POF).

Elouan
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le 4 oct. 2022

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