Le romancier franco-congolais Alain Mabanckou s’est vu confier la chaire de création artistique au Collège de France en 2016. Une première pour un écrivain. Il y a dispensé huit leçons au croisement de la littérature, la politique et la culture africaines. Grasset en publie aujourd’hui le contenu dans un ouvrage passionnant qui apprend autant qu’il questionne.
De nombreuses distinctions se trouvent au cœur de Huit leçons sur l’Afrique. Alain Mabanckou évoque la littérature exotique, celle des clichés et du voyageur, et la littérature coloniale, celle des écrivains faisant valoir leur vécu. Il nous rappelle ce que la Négritude d’Aimé Césaire, Léopold Sendar Senghor et Léon-Gontran Damas a apporté à la littérature africaine et, par extension, à tout un continent (ainsi qu’à ses ressortissants) : une conscience noire, un désir d’émancipation, une revendication de soi-même. L’auteur revient sur les erreurs de jugement consistant à opposer les « écrivains du dedans » aux « écrivains du dehors ». L’usage de la langue française, celle de l’ancien colonisateur, n’est à ses yeux ni un piège ni un reniement. Mieux : en aucun cas, elle n’empêche de verbaliser ce qu’on qualifiera par commodité d’ « âme africaine ».
Le raisonnement d’Alain Mabanckou est transversal, puisqu’il touche aussi à la littérature de la migration, à l’éthique d’une narration de l’horreur, aux collections noires (accusées à tort d’être « communautaristes »), à ces couvertures de romans dits « africains » aux motifs paresseux et interchangeables, au rôle des femmes dans la Négritude, au mouvement Renaissance de Harlem, à la République haïtienne ou encore au génocide rwandais, à sa traduction littéraire et à la responsabilité des autorités coloniales belges dans l’exacerbation de l’ethnicité des Hutus et des Tutsis. C’est plus d’un siècle d’une histoire méconnue que l’auteur passe en revue, en conviant des personnalités aussi diverses que Joseph Conrad (pour ses descriptions désincarnées de l’Afrique), W. E. B. Du Bois (pour ses célèbres études sur la communauté noire aux États-Unis), Marcus Garvey (pour le panafricanisme), Albert Londres (pour sa dénonciation de l’oppression coloniale) ou encore Toussaint Louverture (pour son esprit de révolte).
Naturellement, les grands écrivains africains et les thématiques qu’ils embrassent sous-tendent ces huit leçons de bout en bout, quand ils ne font pas l’objet d’un cours spécifique. De la même façon, Alain Mabanckou s’intéresse beaucoup à la manière dont l’Afrique est racontée, au vocabulaire employé, à la caractérisation des Africains et à leurs destinées littéraires. Dans le magazine L’Invité de TV5 Monde, il déclarait d’ailleurs en décembre dernier : « La littérature africaine est née en contradiction avec toute cette aise. Quand on a commencé à dire : « Non, on ne veut plus lire des romans dans lesquels les Africains ne s’expriment que par des exclamations, les Africains ne sont que des personnages secondaires. L’Africain doit parler, le continent doit parler et c’est là l’exacte naissance de la littérature négro-africaine par le cri et par la volonté de vouloir rétablir son humilité, son essence. »
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