Cette critique se présente comme une suite de celle déjà écrite au sujet de Divergent, tome 1 (http://www.senscritique.com/livre/Divergent_tome_1/critique/67825416)


Je commencerai par dire que, si le livre est moins mauvais que Divergent, il n'en demeure pas moins d'une facture assez grossière, ce qui rend la lecture non déplaisante, et c'est le seul compliment que je ferai au sujet de ce livre.


Il faut reconnaître que les inspirations de ce livre sont multiples. Omettant les romans du genre dystopiques que j'ai déjà cités dans la précédente critique, j'en viens tout de suite aux influences peut-être moins évidentes et qui ont rapport à l'évocation de l'Antiquité :



  • avec en premier lieu la récurrence des thèmes du pain et des jeux -
    "Panem et circenses" - qu'ils soient du cirque ou Olympiques.

  • Le roman propose également une relecture intéressante du mythe de
    Thésée
    : depuis la mort de son fils et sa victoire sur les Athéniens,
    Minos, roi de Crète, exige que la ville lui envoie tous les 9 ans un
    "tribut" de sept jeunes hommes et de sept jeunes filles pour les
    enfermer dans le labyrinthe afin qu'ils servent de pâture au
    Minotaure. Ici, le Capitole - lieu d’inspiration grecque - exige des
    districts sous sa domination (au nombre de 12, chiffres tellement
    symbolique - les 12 travaux d'Hercule - qu'il en est devenu banal)
    qu'il fournisse chaque année deux tributs : fille et garçon. Le
    labyrinthe a laissé place à une arène - lieu antique par excellence -
    sauf que le Minotaure est remplacé par un monstre plus cruel et
    assoiffé de sang que le fils de Pasiphaé : le public du Capitole,
    peuple de oisifs aux accoutrements fantasques. Le livre acquière par
    ce biais toute sa portée critique, qu'il emprunte néanmoins au
    Battle Royale japonais.


Cependant l’analogie s’arrête là, le roman n’en fera rien ; car si le livre est bien évidemment critique, de ce monde tout d'abord et ensuite de notre société puisque c'est le propre du genre dystopique, il rate à mon sens les objectifs qu'il s'est fixé. Ainsi, on ne saisit pas vraiment si ces Hunger Games ont pour but d'humilier les districts en envoyant cruellement des enfants s’entre-tuer, ou au contraire à servir de palliatif aux districts en leur donnant l'illusion d'une vie meilleure. Si tel était le cas, la population de chaque district devrait être totalement en faveur de ces jeux, voyant là un moyen de salut ; tout le monde serait motivé par l'enjeu ; les tributs seraient donc volontaires pour participer, tout le district les acclamerait et leur famille serait honorée de ce sacrifice. A l'inverse, si le Capitole voulait détruire le moral de ses districts pour assurer son divertissement et maintenir son autorité, il n'y aurait pas ce système de faveurs pour les vainqueurs et leur district : la seule récompense du gagnant serait le simple droit de vivre. On le voit, il existe dès le départ une contradiction profonde dans l'univers présenté qui contamine peu à peu tout ce qui gravite autour.


Le Capitole se révèle ainsi lui-même peu habile. Pour paraphraser Soljenitsyne, je dirais que quelqu'un à qui vous avez tout pris, celui-là n'est plus en votre contrôle. Autrement dit, pour garder un homme, ou un groupe, sous votre coupe, il faut bien sûr le réduire à la survie, mais surtout lui laisser l'espoir. L'espoir d'un bonheur matériel quelconque, l'espoir d'une vie meilleure, l'espoir d'un soulagement. L'Histoire nous a montré comment la classe dominante fait pour garder le pouvoir sur les dominées : elle lui offre du pain aux jeux du cirque, elle lui offre la vie éternelle, elle lui offre les syndicats, les congés payées et la télévision. Dans ce pays appelé "Panem", il semble que les dirigeants du Capitole n'aient pas retenu grand chose ; en effet, dans chaque district, on diffuse les images les plus choquantes, comme si tout était fait pour attiser la révolte. Et pour faciliter une prochaine révolution, ce qui est - ne soyez pas surpris - l'issue prévisible de ce genre de livre. Les dirigeants ont également eu la brillante idée de laisser connue la géographie du pays, alors qu'il eut été fort facile de taire cette information et de reléguer pour presque toujours toute ambition d'insurrection.


Je regrette également la manière dont est menée la narration. Quand je lis cette histoire, je reste toujours sur ma faim, car on ne connaît jamais complètement les pensées du personnage principal : un comble sachant que le récit est mené à la première personne du singulier ! Je veux savoir ce qu’il y a dans la tête de Katniss, y compris si elle est stupide. Et c'est là que je tiens à émettre une critique de ce style : le "je" du roman est un "je" hypocrite : il est là pour faciliter l'identification du lecteur à l'héroïne/héros comme si le lecteur était incapable d'éprouver de l'empathie pour elle/lui si le récit était à la troisième personne ; mais dans ce cas précis, le "je" n'est pas suffisamment soutenu et c'est vraiment frustrant. Je ressens plus d'empathie pour Julien Sorel alors même que Le Rouge et le Noir est écrit à la troisième personne.


Enfin, je trouve les thématiques largement sous exploitées. Le livre évacue, et c'est bien dommage, la question de la mort des enfants et la préoccupation du meurtre qui est celle de ses adolescents qu'on envoie s'entre-tuer ; comme si l'auteur refusait de poser ses questions pour ne pas perturber ses lecteurs potentiels : si ce n'est pas volontaire de la part de l'auteur c'est à mon avis une erreur, si c'est un choix, cela démontre une certaine condescendance vis-à-vis des lecteurs. J'aurai aimé savoir pourquoi Katniss veut tuer Peeta à un chapitre et dans le suivant le serrer dans ses bras : rien n'est expliqué, ce qui est dommage puisque, d’un autre côté, rien n'est épargné des souffrances physiques des personnages, avec une précision quasi-sémiologique des lésions.


Et si vous croyez qu’à la fin de tous ces traumatismes et toutes ces épreuves, les vainqueurs – Katniss et Peeta – ont reçu une soutien psychologique vous vous trompez. Ils sont plongés dans le coma, réparés comme chez le garagiste (ah oui, et Peeta n'a pas perdu sa jambe à cause de la gangrène mais à cause du garrot de Katniss), avant d’être jetés en pâture au public du Capitole (quitte à ce qu’ils pètent les plombs à ce moment) : vraiment brillant de la part des organisateurs !


Ayant atteint les 1000 mots, je poursuivrai cette critique sur le Hunger Games, tome 2, que je ne lirai jamais, soyez en sûr.
Suite et fin de la critique ici : http://www.senscritique.com/livre/L_Embrasement_Hunger_Games_tome_2/critique/69821441

Créée

le 4 oct. 2015

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Gwynplain

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