Ici ça va
7.6
Ici ça va

livre de Thomas Vinau ()

La première fois que j’ai vu un portrait de Thomas Vinau, je me suis dit « Ça doit être le genre de types à ne pas manger de gluten sans y être allergique, à prénommer ses mômes Églantine et Gaspard et à être fier de faire la vaisselle pendant que sa compagne répare les freins du vélo. » C’est peut-être vrai ; ça n’a pas d’importance.
Ce que je peux commencer par dire, c’est qu’Ici ça va cumule à peu près l’ensemble des passages obligés liés aux récits de retour à la terre d’un citadin. Le narrateur, qui sort d’une dépression et se définit néanmoins comme inadapté à la vie rurale, et sa compagne (femme ?) Ema, dont on ne sait pas trop ce qu’elle faisait avant, emménagent dans un village, en l’occurrence celui où le narrateur a passé les six ou sept premières années de sa vie. Ça pourrait se poursuivre comme dans les Chiens de paille, mais en fait pas du tout. Ce serait trop pimenté.
Dès les premières lignes et presque jusqu’à la fin, c’est un condensé de niaiserie. Il apprend à passer la débroussailleuse au bord de la rivière. Elle sème des radis, des haricots et des carottes. Il la trouve très belle comme le soleil fait dorer sa peau. Elle adopte un bébé ragondin (!). Il se fait ouvrier viticole aux beaux jours pour le compte d’un paysan. Elle apprend la langue des signes pour pouvoir communiquer avec la fille du paysan. Il reprend goût à la vie en voyant l’aurore poindre à travers la rosée. Elle a peur des araignées. Il la rassure… (Je pourrais continuer ainsi longtemps.) Ils s’aiment. C’est très tendre. D’une tendresse absolument dépourvue de ce qui pourrait ressembler à de l’humour, du recul ou de la dérision. (Je considère ici comme involontaire l’humour d’un passage tel que « Il nous faudrait des poules. Et des enfants aussi », p. 29 en « 10-18 ».)
Pour tout dire, je suis complètement hermétique aux évocations de ce genre : phrases courtes, plaisirs courts, vue courte. Je ne me sens pas agressé, ça ne me révolte pas, c’est simplement qu’elles m’ennuient. Sur cinq lignes et s’il y a quelque chose après, ça peut passer. Mais comme la monotonie est un combat, cent pages sont une épreuve de force. C’est ce qui s’est passé avec Ici ça va, au point que j’ai failli rater les deux moments auxquels se produit quelque chose comme des cahots – il serait exagéré de parler de secousses, et déplacé d’utiliser le mot déraillements – sur le long et lent chemin de fer de l’ennui. (Oui, il m’arrive d’être lyrique…)
Le premier est une scène où le narrateur se fait fabriquer sa propre eau-de-vie par un bouilleur de cru du cru ; évidemment, le premier verre le fait tousser. « J’ai baissé la tête pour déclarer forfait et c’est là que j’ai aperçu le teckel qui accompagnait le bouilleur. Ses yeux blancs, vitreux, et sa langue tremblante qui léchait le sol sous la cuve » (p. 100). Le deuxième est un peu plus fort et un peu mieux préparé, laissant présager de ce qu’aurait donné Ici ça va avec un peu plus d’audace et de densité.

Alcofribas
5
Écrit par

Créée

le 31 juil. 2018

Critique lue 302 fois

1 j'aime

Alcofribas

Écrit par

Critique lue 302 fois

1

D'autres avis sur Ici ça va

Ici ça va
lionelbonhouvrier
6

Journal d'un dépressif anonyme

Le récit, succession de chapitres d'une ou deux pages, est le journal d'un homme ayant perdu la mémoire de son enfance. Il tente de se reconstruire par un retour à la terre en rénovant sa maison de...

le 23 août 2022

7 j'aime

1

Ici ça va
Alcofribas
5

Première fois, 1/6

La première fois que j’ai vu un portrait de Thomas Vinau, je me suis dit « Ça doit être le genre de types à ne pas manger de gluten sans y être allergique, à prénommer ses mômes Églantine et Gaspard...

le 31 juil. 2018

1 j'aime

Ici ça va
LioDeBerjeucue
8

Critique de Ici ça va par LioDeBerjeucue

Ca raconte en phrases très simples et très justes le retour à la nature d'un couple dont l'homme se remet lentement d'un burn out. Comment les liens se reforment, comment on prend du temps pour...

le 7 oct. 2014

1 j'aime

1

Du même critique

Propaganda
Alcofribas
7

Dans tous les sens

Pratiquant la sociologie du travail sauvage, je distingue boulots de merde et boulots de connard. J’ai tâché de mener ma jeunesse de façon à éviter les uns et les autres. J’applique l’expression...

le 1 oct. 2017

30 j'aime

8

Le Jeune Acteur, tome 1
Alcofribas
7

« Ce Vincent Lacoste »

Pour ceux qui ne se seraient pas encore dit que les films et les albums de Riad Sattouf déclinent une seule et même œuvre sous différentes formes, ce premier volume du Jeune Acteur fait le lien de...

le 12 nov. 2021

21 j'aime

Un roi sans divertissement
Alcofribas
9

Façon de parler

Ce livre a ruiné l’image que je me faisais de son auteur. Sur la foi des gionophiles – voire gionolâtres – que j’avais précédemment rencontrées, je m’attendais à lire une sorte d’ode à la terre de...

le 4 avr. 2018

21 j'aime