Impasse Verlaine
7.7
Impasse Verlaine

livre de Dalie Farah (2019)

En quelques pages, Dalie Farah nous happe, la narratrice relatant les tentatives d’avortement de sa mère, bien peu fructueuses puisqu’elle arrivera à naitre le 22 février 1973. Et cette belle phrase qui conclue ces trois pages introductives : “on peut survivre de tout quand on survit à sa mère”.


Impasse Verlaine est un beau roman sur les relations mère-fille, dans l’éclat de leurs violences mais aussi dans ses moments les plus doux. Vendredi, la mère, est née en Algérie dans les années 1950, la petite fille turbulente sera assez vite mariée par sa mère, qui l’a éduqué à sa manière, de la seule manière qu’elle connaissait, par la menace et par les coups.


Avec son mari, bien plus âgé qu’elle, Vendredi immigre en France, dans la région de Clermont-Ferrand, d’abord dans un petit village, puis à Clermont-Ferrand dans l’impasse Verlaine. La séparation avec les Aures, sa région natale, est difficile. Sa découverte de la France métropolitaine l’amuse, comme les mœurs de ses amies, tandis qu’elle crachera volontiers sur d’autres de ses aspects. L’existence ne sera jamais guère reluisante, dans une pauvreté que quelques petits boulots n’égaieront jamais, femme de ménage ou concierge, mais qui lui offre malgré tout un toit, à elle et à ses enfants.


Vendredi en aura plusieurs, mais la fratrie est peu abordée, c’est la narratrice et sa mère qui sont au centre, reléguant les autres membres dans les zones d’ombre du récit. Vendredi refait les erreurs de sa mère, confondant éducation avec peur. L’humiliation est régulière, les coups frappent fort. Les colères de la mère sont redoutables. Mais les quelques moments de douceur existent. La narratrice fait ce qu’elle peut pour amadouer ce personnage. Elle essaie d’être sage et obéissante, mettant à profit son érudition juvénile pour l’aider dans ses démarches administratives ou usant ses petits bras pour l’aider dans les taches ménagères.


Cette relation ambiguë est pourtant dépeinte avec une certaine tendresse, et même un léger humour. La dureté de la situation est apaisée par le ton de cette narratrice qui n’est jamais larmoyant, ni à charge contre sa mère. Ces anecdotes, ces émotions, tout ce quotidien à la fois inquiétant et en même temps étrangement apaisé servent un récit qui ira vers l’émancipation. L’écriture est humaine, dans le nuancier des sentiments. Elle est aussi vive, avançant au juste rythme, sans aller trop vite, mais sans ressasser.


Le portrait de ces environnements est aussi important, que ce soit l’Algérie française (dans ses derniers instants) ou cette France des années 1970 à 1980. Les références sont ponctuelles, le contexte politique est peu important, mais s’y glissent des personnages dont les comportements s’ancrent dans des héritages ou des ruptures. Cela peut être le poids des traditions familiales dans l’Algérie ou la liberté des moeurs dans cette France métropolitaine, qui amuse Vendredi mais qu’elle s’interdit et qu’elle refuse à sa fille.


Le poids de la transmission est ainsi important, semblant condamné à répéter les mêmes erreurs. Celui des origines l’est aussi. Vendredi a coupé son lien avec l’Algérie, en gardera une certaine vision un peu mystifiée alors qu’elle y a subi tellement de brimades. Celui de la narratrice est plus lointain, mais en garde les traits physiques, des traits d’arabes que sa mère cherchera toujours à cacher voire à humilier pour faciliter l’intégration de sa fille.


Le corps est d’ailleurs important dans ce roman. Il est blessé, humilié. Mais, en tant que corps féminin, il est aussi soumis à différents changements qui s’imposeront à ce duo mère-fille. L’un des moyens pour la narratrice de s’extraire de sa condition sera aussi d’accepter ce corps, y compris dans l’hérédité de ses traits, dans sa ressemblance physique avec sa mère.


Il semblerait que l’auteur Dalie Farah se soit servie de son expérience, certains détails biographiques s’accordent bien, bien qu’il soit présenté comme un roman. Celui-ci peut d’ailleurs se qualifier volontiers de récit initatique. C’est peut-être ce qui peut expliquer la justesse du ton, mais aussi la crédibilité de l’histoire présentée, suffisamment romanesque pour se lire avec grand plaisir, suffisamment réaliste pour interroger.

SimplySmackkk
7
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le 9 nov. 2020

Critique lue 199 fois

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