Etgar Keret est l’un des plus populaires écrivains israéliens contemporains, traduit dans plus de quarante pays. C’est aussi un touche à tout qui a écrit et réalisé pour le cinéma ou la télévision. En 2014 sur nos terres gauloises l’auteur avait fait forte sensation avec 7 années de bonheur, un recueil de nouvelles solidement arrimé aux préoccupations de l’auteur et de sa vie à Tel-Aviv.
Pour Incident au fond de la galaxie, il délaisse cet ancrage, sans jamais le quitter ou le cacher, pour s’adonner à nouveau à la nouvelle, un de ses terrains de jeux favoris. Lauréat du Prix Sapir et du National Jewish Book Award, l’un israélien, l’autre américain, l’ouvrage a une nouvelle fois fait sensation auprès de ses compatriotes ou de ses coreligionnaires, même s’il lui sera plus difficile de s’imposer auprès d’un public français peu amateur d’un tel genre.
Il serait dommage de bouder ce livre sous le prétexte que ce ne serait « qu’ »un recueil de nouvelles, car l’auteur y dévoile une certaine ingéniosité avec ses textes trempés dans un ton froid, sans empathie. Si la nouvelle en tant que genre aime généralement se terminer par une habille pirouette, tous les textes d’Etgar Keret sont loin d’offrir une belle ou satisfaisante conclusion. Il nous offre des textes où le réalisme est froid, parfois désespéré, avec quelques pointes de fantastique qui ne semblent jamais de trop.
Les sujets sont différents, mais utilisent des personnages enfermés dans leurs pages, dans leurs situations, le plus souvent seuls malgré leur entourage. Le quotidien sera abordé avec des pères et leurs enfants ingrats, dans les amertumes des couples, dans les regrets des uns ou des autres. Le ton sera parfois plus caustique mais toujours teinté de noirceur quand l’auteur s’exerce à des registres plus fantastiques à l’image de cet ange ou ce clone, l’un confronté à l’ennui de la vie après la mort et au regard du groupe, l’autre à des attentes cruelles. La nouvelle qui donne le titre au livre est d’ailleurs un petit bijou d’humour noir, une correspondance par mail entre un gérant conciliant d’escape-room et un consommateur odieux sous ses belles tournures de phrases.
Les tranches de quotidien sont parfois amers, résignés, sans que l’écriture n’ait besoin de s’appuyer dessus, de le pointer. En peu de pages, car les nouvelles sont courtes, se dessinent des personnages, des décors et des émotions, que le lecteur accompagnera. Un malaise se crée, mais jamais étouffant, jamais désespéré, qui n’ira pas dans les extrêmes, dans une expression démonstrative de la noirceur. La couverture, joyeuse, est un piège, et il faudra peut-être quelques nouvelles pour s’habituer à ce ton résigné, à l’humour froid, pour mieux apprécier toute l’inventivité de l’auteur.
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