Book to Read

Mon premier contact avec Anthony Atkinson remonte à l'ouvrage co-écrit avec Joseph Stiglitz : Lectures on Public Economics, un ouvrage si foisonnant et prenant que je ne cessais de l'emprunter à la bibliothèque pour relire un chapitre, reprendre un passage mal compris. Bref, c'était un peu une histoire d'amour. Par la suite, j'ai retrouvé Atkinson de temps à autre, notamment pour ses travaux sur les hauts revenus et leur taxation (avec Saez, Piketty...), la constitution d'une vaste base de données...

La traduction rapide de son livre (édition originale paru en 2015) est une bonne nouvelle. A plusieurs titres :

• l'ouvrage fait le point sur les inégalités, au Royaume-Unie et aux Etats-Unis (mais pas seulement) tout en n'oubliant pas de poser plusieurs questions centrales à leur sujet : inégalités de quoi ? pour qui ? comment mesurer ? comparer ? pourquoi ont-elles augmenté ?


• Atkinson propose des mesures à mettre en place pour lutter contre la montée des inégalités de revenus et de patrimoine tout en discutant de leurs effets


• au détour des pages, outre la manifestation de l'humour britannique, se trouve aussi nombre d'éléments liée à la science économique, à ce qui se passe quand on n'est plus dans une situation de concurrence pure et parfaite. Comme l'auteur le fait de temps à autre, il part de ce que les manuels enseignent pour mieux mettre cela en perspective, discuter tel ou tel point. Le tout sans équation, quelques graphiques et une prose agréable à lire.

Les 15 propositions de Atkinson, d'abord à destination du Royaume-Uni mais qui pourrait s'étendre à l'Europe voire, plus largement, aux Pays de l'OCDE ont une cohérence d'ensemble. Je me permets de les citer rapidement :

1. Les changements technologiques appuyés par l’État devraient favoriser l’augmentation de l’employabilité des travailleurs, en mettant l’accent sur la dimension humaine des services qui en découleront.


2. Les politiques publiques devraient viser à réduire le pouvoir des vendeurs sur les marchés des biens et services + rééquilibrer le pouvoir de négociation entre employeurs et travailleurs.


3. Le gouvernement doit adopter une cible explicite de prévention/réduction du chômage et soutenir cette ambition en offrant un emploi public garanti au salaire minimum à tous ceux qui en cherchent.


4. Une politique nationale des rémunérations avec un salaire minimum fixé à un niveau qui permet de vivre décemment + code des usages pour les rémunérations supérieures.


5. Le gouvernement, par l’intermédiaire de bons d’épargne nationale, devrait offrir un taux d’intérêt réel positif garanti aux épargnants tout en plafonnant le montant détenu par personne.


6. Verser un montant en capital (un héritage minimum) à tous lors du passage à l’âge adulte.


7. Mettre en place une Autorité d’investissement publique gérant un fonds souverain destiné à accroître les revenus de l’Etat.


8. Avoir une structure plus progressive pour l’imposition des revenus des particuliers, avec des taux marginaux d’imposition qui s’élèvent jusqu’à 65 % + élargissement de la base fiscale.


9. Introduire un abattement sur les revenus du travail limité à la première tranche des revenus.


10. Héritages et donations entre vifs doivent être taxés via un impôt progressif sur les rentrées de capital du bénéficiaire au cours de sa vie.


11. Un impôt foncier proportionnel ou progressif reposant sur des évaluations à jour des biens immobiliers.


12. Verser une prestation enfant pour tous les enfants, d’un montant substantiel et imposable en tant que revenu.


13. Introduction au niveau national d’un revenu de participation , pour compléter la protection sociale existante, avec la perspective d’un revenu de base pour les enfants à l’échelle européenne


14. Rénover les assurances sociales en relevant le niveau de leurs prestations et en élargissant leur couverture.


15. Que les pays riches augmentent leur objectif d’aide au développement, à 1% de leur revenu national brut.

Il y aurait beaucoup à dire sur ces propositions (cibler un taux de chômage, que l'Etat joue le rôle d'employeur en dernier ressort, le revenu de participation, le code éthique pour les hautes rémunérations...) tant elles font écho, au détour d'une phrase, à des éléments que l'on peut trouver par ailleurs (sur le progrès technique, la nouvelle situation de l'emploi, le salaire...), à des débats économiques (revisiter le dilemme efficacité-équité, revoir les effets du salaire minimum, des allocations chômage pour sortir des clichés...). Bref l'ouvrage peut toucher un large public : que l'on ait ou non des connaissances en économie, Atkinson nous prend par la main et nous fait progresser pas à pas au fil des pages. Tout n'est pas chiffré, quantifier dans ses propositions (il laisse la place au dialogue social...) mais le propos demeure convaincant : vouloir redistribuer les revenus, égaliser (un peu) les chances ne réduira pas forcément la richesse produite, il faut rénover la manière de penser certains phénomènes en économie ! L'idée n'est pas nouvelle mais Atkinson le fait avec un certain génie et sans arrogance.

Finalement j'ai préféré cet ouvrage à celui de Piketty, Le capital au XXIème siècle, ce dernier étant assez éparpillé, moins structuré du point de vue des thèmes et du contenu théorique (les deux "lois"...), qui reste parfois un peu fruste. De mon point de vue, Atkinson permet de compléter Piketty et de le dépasser sur certains points. Les anglais se sont vraiment fait une spécialité d'embêter les français...