Méli-mélo interdisciplinaire, baragouinage, et fixette sur Freud

L'auteur tente de son mieux de vulgariser par métaphore et parfois par des traits d'humour, mais rien n'y fait, c'est le contenu même de ces "sciences" qui me pose problème ; l'auteur admet lui-même qu'elles « remplissent mal les critères de la scientificité », que « leur sujet se prête difficilement à une élaboration rigoureuse », c'est un travail « sans données empiriques » et l'auteur va même jusqu'à prétendre :
« L'idée d'une méthode est certes rassurante mais illusoire. [...] les mêmes qui insistent le plus sur la méthodologie sont souvent ceux qui apportent le moins à la recherche [...] nos SIC offrent aux chercheurs et pour cette raison même mille occasions d'une randonnée créative, qui passe aussi par le jeu, par l'image et le maniement quelques bonnes métaphores. »


Il a beau dire :
« notre interdiscipline propose aux sciences sociales déjà constituées un croisement de leur problématiques [...] en circulant entre les raisons locales de la sémiologie, de la psychologie sociale, de l'histoire ou de l'informatique »
Ça ne ressemble pas à un croisement de disciplines mais à un immense fouillis.


Des mots qui ont un sens spécifique dans une discipline spécifique sont tous mélangés dans la même soupière ; l'auteur fait sa petite tambouille lexicale ; ainsi il nous propose un lexique en fin d'ouvrage (magnanime de sa part) dans lequel figure à la fois les définitions de "Symbolique" selon le psychanalyste Jacques Lacan, "Signifiant" selon le linguiste Ferdinand de Saussure, "Phatique" selon l'écrivain philosophe Régis Debray, "Analogique" selon le psychologue Watzlawick, et je passe sur Freud ou sur les petites définitions sémiologiques ou philosophiques qu'on rencontre au cours du livre. En résumé, il n'y a pas un système cohérent mais une accumulation de bribes d'informations empruntées à différentes disciplines et entassées sans unité aucune.
Partant de là, nos SIC consistent à élaborer des concepts abstraits en rapports avec la communication, mais qui ne s'appuient sur aucune donnée scientifique, qu'on ne peut pas prouver, et qui ne présentent aucune application pratique ; ça ressemble bien à la psychanalyse Freudienne présente dans cet ouvrage du début à la fin, un tas d'interprétations sans valeur.


Charlatanerie assumée :
« Il faut donc que notre communication demeure cette chose turbulente et vague, de laquelle il n'y a ni science ni technique, mais qui surplombe ou cadre la plupart de celles-ci. On n'abordera pas ce domaine sans être un peu sorcier, ou artiste ; et de fait la « communication » s'accumule, ou est à son comble dans la relation interpersonnelle, dans la psychanalyse, dans l'art ou le marketing publicitaire ou politique, qui ne relèveront jamais, quoi qu'en pense certains, d'une technique adéquate ni d'une routine programmable. »


Je trouve ça navrant ; imaginez si Newton s'était dit "Bon, la gravitation doit rester cette chose vague et turbulente, sans science ni technique, à son comble dans la physique, l'architecture, le sport ou la guerre, il faut être un peu sorcier pour l'aborder et ça ne fera jamais l'objet de technique adéquate", autant dire qu'on serait pas près d'envoyer un satellite dans l'espace...
L'auteur est philosophe, d'ailleurs, pourquoi vient-il s'occuper de ces sujet là ? Je ne suis pas imperméable à la philosophie mais celle-ci devrait s'occuper d'éthique, de morale, de politique ou de quête du bonheur, des choses subjectives quoi, et laisser les sciences aux scientifiques, seuls à même d'apporter des réponses. Quant aux pseudo-sciences vrai-attrape-gogo comme la psychanalyse, elles sont tout à fait nuisibles à tout progrès scientifique ; je trouve donc révoltant d'en faire la base des "sciences" de la communication...


Avant de finir voici un florilège de mépris de l'auteur pour le déterminisme et les démarches scientifiques :


« Comment, sans tomber dans un déterminisme sommaire, décrire les enchevêtrements entre nos outils et nos performances symboliques ? »


« Plusieurs écueils et malentendus menacent nos recherches [...] La question principale tourne autour du déterminisme. [...] les ruses de la causalité techniques ne sauraient être linéaire dans les champs psychologiques, symboliques ou sociaux. [...] On corrigera ce discours exagérément mécaniste. »


« Il importe de désaccoupler nos objets techniques d'une filière ou filiation trop durement scientifique »


« Deux écueils menacent une médiologie [...] : celle-ci doit se garder du réductionnisme ou du déterminisme technique »


Vous l'avez compris, le grand méchant déterminisme, trop scientifique, ne saurait s'appliquer à nos "sciences" de la communication. Mais si vous voulez rire (ou pleurer), sachez que notre Daniel Bougnoux qui ne doute de rien, crée sa propre forme de causalité, loin d'un déterminisme trop vulgaire pour sa grandeur philosophique ; selon lui :
« [la causalité] négative se borne à constater que « si non-A, alors non-B » »


Voilà qui résume bien cet ouvrage ; un enchainement de sophismes. Je ne sais pas si je dois en blâmer l'auteur, le contenu de cette discipline, ou les deux. Quoiqu'il en soit, cette fête aux généralisations péremptoires m'aura appris bien peu, mais aura eu le mérite de me faire réfléchir à tous les sujets sur lesquels je suis en désaccord ; pas sûr cependant que ce soit le but.

Sivoj
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le 22 févr. 2017

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