L’œuvre de Scholastique Mukasonga restera une de mes grandes découvertes littéraires des dernières années ; son style épuré évite l’écueil du registre pathétique en dépit de l’horreur des événements dépeints. Ce choix stylistique lui permet d’aborder les différentes dimensions de son histoire familiale et nationale, de déployer un témoignage d’une culture qui a failli sombrer dans l’oubli avec le génocide des Tutsi en 94 et qu’elle s’efforce de retranscrire dans ses œuvres autobiographiques, que ce soit avec La femme aux pieds nus ou Inyenzi ou les cafards. Le livre se construit comme un immense tombeau érigé dans l’objectif de rendre hommage à tous ces noms qu’on a cherché à faire disparaître en 1994. Ma préférence se tourne néanmoins vers son œuvre romanesque Notre-Dame du Nil, dans lequel Mukasonga déploie un véritable talent narratif dans une grammaire pénétrante et légèrement ironique.
« Les militaires exigeaient que dans chaque maison, soit accroché le portrait du président Kayibanda. Les missionnaires veillèrent à ce que soit placée à ses côtés l’image de Marie. Nous vivions sous les portraits jumeaux du président qui nous avait voués à l’extermination et de Marie qui nous attendait au ciel. »