Même dans l’hypothèse où les cours d’histoire seraient lointains dans les mémoires, il est difficile de ne pas savoir qui était Jean Moulin, héros et martyre de la Résistance, figure héroïque et consensuelle dont le nom a été adopté par un nombre faramineux de places, d’avenues, d’établissements scolaires ou de rues. C’est d’ailleurs le cinquième nom le plus utilisé en France à cet effet.
Ceux qui ont de bonnes mémoires de leurs cours ou quelques connaissances en Histoire savent peut-être que la couverture de Jean Moulin était une galerie d’art, « Romanin », située au 22, rue de France à Nice. Car Jean Moulin n’était pas seulement un grand amateur d’art, mais il était lui-même artiste, une facette de son passé un peu trop vite oubliée.
C’est ce que présente cet ouvrage, constitué de fonds légués par sa sœur en 1975 à la ville de Bézier. Son sous-titre « Profession ? Artiste peintre » est un clin d’oeil judicieux, à la fois à l’interrogatoire de Klaus Barbie sur Jean Moulin, qui lui aurait donc répondu « artiste peintre » comme profession et à cet ouvrage, composé de ses dessins à l’encre de chine ou au fusain et à ses aquarelles.
Des dessins d’enfants ouvrent le livre, où Jean Moulin démontre rapidement un certain talent, notamment pour la caricature. Malgré sa carrière de haut-fonctionnaire, son goût du dessin ne le quittera jamais. Signant Romanin pour différencier son image publique de ses œuvres, il collabore pour plusieurs éditeurs et maisons de presse. Le Rire, important revue hebdomadaire satirique qui perdura de 1894 à 1971 le compte parmi ses artistes, et le vante même parmi ses meilleurs collaborateurs.
Car Jean Moulin est un fin observateur. Mondain, mais pas snob, il fréquente les grands de ce monde, les élites intellectuelles et les grands artistes. Dans ses caricatures, le trait est gracile, élégant, rehaussé de quelques couleurs, pour mieux se moquer des grands qui se donnent des airs.
La charge n’est guère corrosive, l’humour reste assez naïf, dans la lignée de ce qui se fait à cette époque. Les légendes proposées avec certains dessins illustrent bien cet humour mordant mais pas trop, qui devaient faire sourire ceux qui s’y reconnaissaient.
D’autres illustrations sont des études, des essais, là encore de personnages, peu de paysages. Ce ne sont parfois que des ébauches, les traits qui les composent peuvent se compter, et pourtant avec une économie de moyens les figures sont achevées, les postures sont là. Avec quelques coups de fusain, ou autre matériel, ce qui ne pouvait être que des recréations (parfois retrouvées sur du papier à lettre officiel) se présentent des œuvres qui témoignent d’un certain coup de crayon.
Jean Moulin n’est pas un grand artiste oublié, son talent était existant, il est évident à la lecture de ses pages, mais reste modeste. L’humour présent mais peut-être demandé par ses commanditaires peut apparaître désuet, mais malgré tout charmant. Mais cet ouvrage reste important, car il présente une facette peu connue d’un personnage érigé en héros, alors qu’il avait d’autres qualités, dont sa sensibilité artistique. Des photographies de Jean Moulin, l’homme, héritées des archives familiales permettent de lui donner un nouveau visage, en dehors de l’icône en chapeau et écharpe, et de nous présenter un peu mieux, avec ses œuvres, sa personnalité.
Les œuvres présentes dans ce livre sont principalement exposées au Musée des Beaux-Arts de Béziers qui n’a pas, à ma connaissance, de page dédiée (pas bien). Je ne peux donc pas vous renvoyer aux images en question, mais le site Jeanmoulin.fr, géré par la famille, propose plusieurs pages pour découvrir et approfondir cet aspect de sa vie.