Pierre Nora, historien et universitaire, grande figure du milieu de l'édition, finit par nous soumettre ses Mémoires. Il explique pourquoi il a tant tardé : spécialiste de la place de la mémoire nationale pour un pays et la France en particulier, donc de ce genre d'exercices, il se voyait mal concurrencer ses illustres prédécesseurs. C'est pourquoi il se soumet à un exercice partiel, en présentant, dans des chapitres thématiques, les points saillants de son existence, sans en retracer la chronologie, comme l'usage y invite généralement. Il commence par évoquer son rapport distancié avec la judéité, qui l'a inévitablement poursuivi sous l'Occupation, son échec à l'Ecole normale supérieure et son choix pour la carrière universitaire, malgré d'autres tentations, son admiration pour la poésie et René Char spécialement, sa conception de la colonisation et de la guerre d'Algérie.
Ce choix de présentation permet de prendre connaissance de lignes-forces qui ont innervé toute une vie, guidé tout un parcours, pour composer une personnalité, mieux qu'une somme d'événements précis. Il demeure original, mais probablement plus parlant, et il reste important que l'intéressé lui-même divulgue ces dominantes en les analysant. Soucieux d'humilité, de connaissance et de transmission, l'intéressé se décrit avec sincérité, sans fioriture, sans se valoriser, ni dissimuler certaines failles, ce souci d'honnêteté intriguant presque, à ce niveau d'envergure intellectuelle et de notoriété. Cet ouvrage me paraît ainsi original en la forme et important au fond, tant sur la découverte du parcours d'une personnalité que sur la description de mondes à part, comme la bourgeoisie juive parisienne, le microcosme des universitaires, notamment.