Jonathan
Jonathan

livre de Cosey ()

Comme indiqué sur la quatrième de couverture, ce livre inclassable est à la fois art-book, monographie, recueil d’entretiens et carnet de voyage. C’est la compilation des suppléments présents dans les 5 volumes de l’intégrale « Jonathan » (16 titres à ce jour), une série de BD relatant les aventures (parues initialement dans le journal Tintin) d’un personnage de BD hors normes, puisque Jonathan est en quelque sorte le double de son auteur.

Dans ce recueil que je range personnellement dans la catégorie des beaux livres, Cosey fait le point sur le personnage Jonathan, sa genèse, ses motivations et les voyages qui ont nourri ces aventures au fil des années. Pour le fan, c’est l’occasion d’apprendre ou vérifier des informations de choix. C’est également le privilège d’entrer dans quelque chose qui ressemble fort à l’atelier de l’artiste. En effet, on trouve de nombreux dessins (magnifiques) issus de ses carnets de voyage, des projets de couvertures d’albums et de nombreux commentaires.

Cosey explique que Jonathan devait à l’origine n’être qu’un one-shot, mais que le directeur du journal lui a demandé de prolonger ses aventures. Jonathan a débarqué dans Tintin comme un voyageur amnésique, un héros franchement inhabituel. Quelqu’un qui se cherchait et qui voyait dans ce Tibet un peu mythique (époque hippie) un lieu privilégié car préservé de l’influence des sociétés occidentales. Mais au moment du premier album, Cosey se contentait de travailler à partir d’impressions lointaines, fasciné par des gens comme Carl-Gustav Jung, Woody Allen, Arthur Rimbaud ou Léonard de Vinci. Il était attiré par le continent indien, il aimait la moto et il s’est trouvé un mentor en la personne du dessinateur suisse Derib.

La série Jonathan ayant rencontré un certain succès, Cosey a commencé à voyager pour de bon dans les contrées qui l’attiraient. Il est allé successivement au Tibet, en Inde, au Népal, aux Etats-Unis, en Afrique, etc. Il a fait de nombreuses rencontres. Il s’est inspiré de ces lieux et des personnages rencontrés pour nourrir ses histoires. Mais il précise que ses albums ne se contentent pas d’illustrer ses souvenirs. Il explique ses méthodes de travail (à l’ancienne, parce que, même s’il voit les possibilités de l’informatique, il préfère le contact avec la matière, les couleurs, etc) et sa façon d’organiser ses planches, en privilégiant une approche intelligente du lecteur. Cosey ne dit pas tout, il préfère montrer, suggérer, comme un bon cinéaste par exemple. Son style de dessin est à cette image : précis mais pas trop fouillé, élégant, avec des couleurs toujours très agréables, plutôt dans les pastels. Mais la couleur il aime ça et il en observe dans ses voyages, alors à l’occasion ça explose un peu et c’est tant mieux.

Le livre est un mélange d’entretiens entre Cosey et Antoine Maurel, de commentaires de Cosey accompagnant les nombreux documents qui agrémentent le recueil, ainsi que des précisions concernant la vie dans les contrées où il est allé. On a ainsi droit à une présentation assez détaillée sur les événements dramatiques qui ont conduit le Tibet à une véritable colonisation par la Chine, accompagnée de l’exil du Dalaï-Lama. Les questions politiques sont évoquées avec acuité et une réelle nostalgie d’un monde irrémédiablement perdu par la destruction de monastères avec leurs précieux documents. En incorrigible optimiste, Cosey ne peut pas s’empêcher d’imaginer un avenir malgré tout encourageant.

De ses propos, je retiens ces extraits fondamentaux :

« Le sens du non-dit me vient de Prat. Mais aussi d’écrivains tels que Salinger. La bande dessinée est un véhicule parfait pour cela, puisque nous avons le dessin. »

« La vie de Jonathan est parsemée de rencontres, parce que j’aime raconter ces moments d’attention où l’autre n’est pas encore connu, cerné, où tout est encore ouvert. Et je crois que la BD est un véhicule approprié pour évoquer ces instants, ces sensations. »

« On ne peut pas construire un trait. C’est en nous. On peut viser quelque chose au niveau de la composition ou du dessin, mais pas du trait. Le trait du dessinateur, c’est comme la tessiture de la voix d’un chanteur. Quand je crayonne, je ne pense pas au trait. Le but est de sentir le personnage. Jigé conseillait de ne pas regarder le dessin mais le modèle. »

« Je modifie mon scénario au fur et à mesure que je dessine, parce que l’histoire prenant corps, elle s’impose peu à peu, et je n’en suis plus le maître, je dois la suivre en quelque sorte. »

« Chaque point, chaque trait doit être indispensable, sinon il faut le supprimer. La bande dessinée que j’aime est à la fois directive par son découpage que l’auteur impose au lecteur et suggestive par son trait stylisé qui évoque plus qu’il ne décrit. »

« … c’est la plus grande valeur des repérages. On goûte à des choses que Google et nos lectures ne sauraient nous apporter. On nous dit, par exemple, qu’en Inde du nord, les femmes portent des pantalons sous leur tunique longue, on est limité à ce genre de généralités, exactes, certes, mais figées, alors que, sur place, les choses sont toujours plus variées : on voit, par exemple, en Inde du nord, des touristes indiens venus du sud. Les repérages donnent une plus grande liberté. Et puis, c’est une provision de sensations que l’on a envie de partager. »

« Le travail sur un thème déterminé au départ me conduit aux stéréotypes et à l’ennui, alors que je recherche plutôt la surprise. »

Ces déclarations de Cosey sont bien celles d’un artiste. Le présent recueil donne un excellent aperçu de son œuvre. Une œuvre belle et élégante qui est une invitation au voyage. La série Jonathan a été récompensée, « Kate » le septième album ayant reçu en 1982, le prix du meilleur album au festival d’Angoulème, ce qui a donné davantage de poids à son auteur pour continuer la série selon son inspiration.
Ce recueil peu diffusé est un précieux document pour les amateurs de BD.
Electron
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le 21 oct. 2013

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