La couverture (de l'édition poche) et la brève 4e de couverture m'ont convaincu que ce roman était pour moi et, dans l'ensemble, je n'ai pas été déçu. Le postulat de base est des plus séduisants : le comte Korvanyi, ayant quitté l'armée à la suite d'un duel, part avec sa jeune épouse à la reconquête de ses terres ancestrales en Transylvanie, abandonnées depuis une sinistre révolte ayant coûté la vie de son ancêtre, il y a cinquante ans. Ce à quoi l'auteur nous convie est donc un voyage aux confins de l'Histoire et des légendes (comment ne pas penser à Dracula ?).
Les premiers chapitres sont éblouissants, en particulier la découverte des paysages grandioses de la Korvanyia, la description d'une précision admirable du château, de la vie des domestiques, de l'installation des époux dans ce lieu imposant et reculé, tout est tangible, réaliste, à la manière des romans du XIXe. Pour peu que l'on soit sensible à ce charme si particulier, on est immédiatement happé dans l'ambiance du roman, dans sa puissante originalité.
La personnalité ombrageuse du comte Alexander Korvanyi, et celle, tout aussi affirmée de la comtesse Cara Von Amprecht, sont l'autre grande réussite du roman, le point d'ancrage qui fait que l'on s'identifie aux personnages, à leurs préoccupations tout d'abord très pragmatiques (la gestion du domaine), en rien romanesques. On sent une veine journalistique, quasi documentaire affleurer sous la plume de l'auteur que l'on expliquera par son amour pour l'Histoire.
Toute cette mise en place est donc bourrée de promesses, tant littéraires que narratives, au fur et à mesure que se dévoilent les forces et présence et les mystères gravitant autour de la Korvanyia. La disparition d'un petit berger, sans doute tué par un loup, va mettre le feu aux poudres et déboucher sur une insurrection à caractère politique et historique. Du même coup, la multiplication des points de vue explose. Loin de se contenter de celui du comte, de la comtesse et de leurs principaux serviteurs, c'est tout une nouvelle galerie de personnages qui fait son entrée dans le roman. Ce point de vue équitable, omniscient, colle aux ambitions historiques du roman mais nous éloigne des personnages principaux qui avaient jusque-là retenus notre attention : Alexander et Cara. Dès lors le roman bascule dans quelque chose de plus classique, entre romanesque à la Alexandre Dumas (l'enlèvement de la comtesse) et déroulement précis de l'insurrection d'un point de vue militaire. Des légendes, il ne reste plus rien. Seule demeure l'Histoire. Ce postulat, en lui seul, justifie le projet littéraire du roman, qui est d'expliciter les dessous des légendes transylvaines en les confrontant à l'histoire réelle. On perd ainsi en charme romanesque ce qu'on gagne en véracité. L'écriture se fait de fait beaucoup plus fonctionnelle, à la manière du journal de bord d'un officier en campagne : des faits, peu ou pas de descriptions, ce qui surprend après la richesse stylistique des premières pages.
Au final, un roman singulier, habilement mené, qui mérite amplement le détour, mais dont les pages les plus littérairement abouties se situent dans les premiers chapitres...