Katiba de Jean-Christophe Rufin est un roman d'actualité. Au moment où j'écris ces lignes, le nord de l'Afrique vit une transformation profonde et violente. Après la Tunisie et l'Egypte, c'est au tour du peuple Libyen de se révolter. Même si le monde espère de voir un régime plus juste succéder à la tyrannie délirante du colonel Kadhafi, personne n'est en mesure de prédire la nature des nouveaux régimes qui émergeront de ce chaos. Quand les journalistes demandent à la classe politique comment les dictateurs déchus ont pu être un jour considérés comme des interlocuteurs légitimes, les réponses sont toujours les mêmes. Garanties de stabilité, bouclier contre différentes menaces ...
La menace terroriste est le sujet principal de Katiba. Plus précisément, la mouvance d'Al Qaida au Maghreb islamique. Le titre du livre désigne un groupe armé mobile et autonome qui opère dans la région. Le roman démarre après une tentative ratée de kidnapping par des membres d'AQMI. Suite à cet échec, une Katiba située au sud du Sahara dans le désert mauritanien décide de se désolidariser du reste du mouvement, et d'organiser une attaque d'envergure contre l'Ennemi.
Depuis ce point de départ, Jean-Christophe Ruffin nous fait voyager. Au États-Unis, au siège d'une société de sécurité privée; en France, dans les coulisses quai d'Orsay; au Maghreb. Il nous décrit sa vision d'une guerre entre deux adversaires radicalement différents. D'un côté un groupe réduit et isolé, dont les seules forces sont la ferveur de son membre et l'initiative de l'attaque. De l'autre, une organisation à portée mondiale, qui dispose de moyens énormes, d'une logistique à toute épreuve, de spécialistes dans des domaines aussi variés que le piratage, les interventions militaires, la psychologie ou la médecine. Ce déséquilibre fait toute la richesse du livre.
Dans les deux camps, les divisions sont importantes. Du côté des forces de sécurité internationales, les intérêts politiques se superposent aux enjeux de lutte contre le terrorisme. Impossible de dire qui est le manipulateur, et qui est le manipulé: chacun, sous le couvert d'intentions honorables, poursuit ses propres objectifs. A l'intérieur de la Katiba, les choses sont aussi compliquées. Il faut réussir à conserver sont indépendance financière, tout en préservant une image de ferveur et de pureté dans la lutte.
Jean-Christophe Ruffin dresse avec élégance et efficacité ce tableau complexe. Les personnages sont introduits avec économie, mais sans jamais sacrifier la richesse de caractère. Si le récit ne se raccroche que très peu à des fais d'actualité, c'est pour ne faire aucune concession à la narration. La fiction devient un outil pédagogique, qui ne sert pas à décrire des fais, mais qui aide à mieux saisir la nature de ce que les médias appellent la "lutte contre la terreur". Une lutte qui a toute les allures d'un marché, pour les états comme pour les organisations terroristes.