Voici un impressionnant travail de recherche englobant toutes les périodes de ce groupe à la longévité rare qu'est King Crimson.
J'ai bien apprécié l'historique de la genèse du groupe, qui est bien détaillé. La genèse des différentes formations de King Crimson, avec l'historique de l'arrivée de nouveaux membres, est d'ailleurs généralement intéressante.
Et l'analyse de plusieurs textes du parolier Peter Seinfield est vraiment intéressante, la signification des paroles qu'il a écrites pour le groupe étant souvent obscure.
Ce qui fait que les passages les plus intéressants sont surtout ceux qui concernent les premiers albums du groupe.
Mais à la lecture de l'intégralité de cet ouvrage plusieurs problèmes se posent, tant dans la forme que dans le fond.
Le style d'Aymeric Leroy est assez lourd. Certaines phrases sont tellement longues qu'elles remplissent le quart d'une page. Et les notes de bas de pages peuvent prendre la moitié d'une page ! Fatiguant autant pour les yeux que pour la concentration du lecteur.
J'ai d'ailleurs l'impression que l'auteur a voulu mettre dans ce livre la totalité de ce qu'il a pu apprendre sur le groupe. Ceci expliquerait cela. Mais à ce compte-là, il aurait été plus pratique pour tout le monde d'écrire deux volumes (chronologiques ou thématiques), plutôt que de noyer le lecteur sous les remarques et anecdotes. En tout cas on ne peut pas dire qu'Aymeric Leroy ait fait preuve d'un esprit de synthèse.
Les passages dans lesquels l'auteur parle de technique musicale sont souvent assez approximatifs. Cela peut passer chez le lecteur pour lequel ces choses relèvent de l'abstraction. Mais pour le lecteur qui connaît un peu ce domaine, c'est vraiment gênant. Et le fait que les références à des techniques de composition ou de jeu ne soient pas expliquées peut pénaliser le lecteur, tous les amateurs de King Crimson n'ayant pas de connaissances en harmonie et en pratique d'instruments. Il est probable qu'Aymeric Leroy ne possède pas lui-même ces connaissances. Dans ce cas-là, il aurait du approfondir ou éviter d'aborder cet aspect. Car ces lacunes génèrent finalement des informations erronées, car incomplètes, même pour le simple musicien amateur curieux.
D'autre part, l'objectivité n'est pas toujours là, l'auteur portant des jugements sur la qualité artistique, notamment lorsqu'il parle des carrières solo de membres du groupe, rarement en bien. Il aurait peut-être dû se contenter de simplement mentionner les albums solo, sans les commenter. Le pire commentaire est le court passage dans lequel Aymeric Leroy réduit les albums instrumentaux de Robert Fripp enregistrés avec sa guitare MIDI à de la musique " New Age ". Ce sont des albums " ambient " harmoniquement très élaborés (exploration des possibilités de l'atonalité et des gammes à transposition limitée) et à la forte dimension spirituelle, avec des passages méditatifs, inquiétants, et parfois émouvants. Pas des albums de musique d'ambiance / relaxation.
Il y a aussi une forte tendance à insister sur l'aspect rock progressif de la musique de King Crimson, alors que le groupe a assez rapidement fait en sorte d'éviter d'être catalogués prog, en se débarrassant à chaque nouvel album des nouveaux clichés générés par les groupes de rock progressif. Aymeric Leroy est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le rock progressif, mais ce n'est pas une excuse. On sent même chez lui un certain snobisme : ce qui n'entre pas précisément dans la case " rock progressif " semble avoir du mal à l'intéresser.
Ainsi, il a également tendance à éviter de parler de metal. Pas une seule fois je n'ai lu le mot " metal ", mais par conte j'ai lu le mot " métalloïde ", aux connotations légèrement méprisantes. Bien sûr, King Crimson n'a jamais été un " groupe de metal ", mais pourtant, dès 1969, avec la première section de " 21st Century Schizoid Man ", ils ont bel et bien été parmi les pionniers du heavy metal en même temps que Black Sabbath. Et que dire des albums " Larks Tongues In Aspic " et " Red " ? L'aspect metal - ou proto-metal, comme le disent des amateurs de metal - de la musique n'est jamais abordé. Pourtant, si vous demandez à n'importe quel métalleux à quel genre lui font penser les morceaux " Larks Tongues In Aspic part 2 " et surtout " Red ", vous obtiendrez une réponse qui ne mentionne pas le rock progressif. J'insiste là-dessus, car les différentes mutations de style voulues pare Robert Fripp, afin que King Crimson ne devienne pas un " dinosaure " (c'est le mot qu'il utilise) impliquent d'oser aller là où des groupes comme par exemple Yes ou Genesis ne sont jamais allé (la noirceur et la violence).
Il est difficile de dire à quel public on pourrait recommander cet ouvrage. Les personnes souhaitant découvrir King Crimson risquent de se retrouver noyées sous une masse d'informations pas assez organisées. Les amateurs éclairés du groupe risquent d'être agacés par le style de l'auteur, par son manque d'objectivité, et par ses approximations. Seuls les progueux courant sectaire seront ravis d'avaler cet ouvrage comme paroles d'évangile. Toutefois, l'amateur éclairé de King Crimson pourra tenter sa chance afin de trouver dans ce livre des éléments qu'il ne connaissait pas ou qu'il a oubliés (c'est mon cas).