Le Noir Chevalier et la Bête de Sang

"Un chevalier n'a qu'un coeur et ce coeur n'est déjà plus à lui."
Chrétien de Troyes, Lancelot ou le chevalier à la charrette (1176 -1181)

Il était une fois, au Royaume très très lointain de Rambouillet, une terrible Bête qui terrorisait les habitants et enlevait toutes les femmes blondes pour leur arracher le coeur. La ville terrorisée s'en remettait aux gens d'armes, Saint Marc et Sainte Sandrine, lesquels se sentaient bien impuissants. Survint un jour un chevalier à la triste figure, venu du Sud pour conquérir sa Dame, une belle femme blonde qui avait disparu. Oyant la Rumeur, apprenant les massacres, il décida de traquer la Bête, persuadé qu'elle n'était pas étrangère à la disparition subite et incompréhensible de son aimée.

L'Affaire Aurore S., ne vous y trompez pas, n'est pas un thriller: il en revêt l'apparence pour mieux livrer un roman de chevalerie moderne où l'Amour n'est pas un vain mot et où les contes de fées sont traduits en faits réels.
Moins polar à énigme qu'une belle mise en perspective d'un des plus beaux et touchants poèmes de Paul Verlaine, c'est avant tout le récit d'une quête d'un sens de l'existence qui passe par l'Amour et, en son centre, le récit épique d'une lutte à mort entre deux surhommes, Le Chevalier et la Bête, le Bien et le Mal.
Une résurrection de l'esprit chevaleresque dans un monde qui en est dénué, un appel fort et juste à croire aux contes de fées.

Alors, certes, L'Affaire Aurore S. a des tics amusants et quelques failles frustrantes.
Voilà donc un monde où tout le monde "se pince les lèvres" quasiment sans arrêts et où, souvent, on ne s'en laisse pas "compter". Un comble dans un conte de fées.
Voilà un conte vernien à la Frritt-Flacc où l'on saura tout du moindre service de police et rien de l'identité du tueur, simple petite boutade de fin de récit. Où l'on décrypte en notes de bas de page tous les sigles sauf le plus essentiel, propres aux deux protagonistes du roman, un Mcguffin qui tient du détail mais qui n'aurait pas déplu à Hitchcock.

D'aucuns reprocheront au héros d'être ce que l'on a de plus en plus coutume de nommer un Gary Sue, un être trop parfait.
Les lecteurs de polar à énigme éprouveront sans doute une frustration face à la révélation de l'identité du criminel. Les lecteurs de romans à l'eau de rose seront tout aussi en peine pour l'un des protagonistes dans sa quête amoureuse.

Mais le suggéré n'est-il pas le rêve ? Le pincement de lèvres est sans doute de ces détails qui, selon Proust, font l'univers nouveau et unique d'un écrivain? Et n'a-t-on pas besoin, aujourd'hui plus que jamais, de héros forts et exemplaires qui donnent envie de se perfectionner, de leurs ressembler et de donner le meilleur de soi-même?
Quoi qu'il puisse en être, L'Affaire Aurore S. dépasse la simple catégorie du thriller ou la gamme des romans sentimentaux voire érotiques de Gilles Milo-Vacéri: c'est un roman de chevalerie des temps modernes, avec tout l'épique, le fin' amor et la merveille que cela implique. Comme Puzzle de Franck Thilliez, c'est un faux-polar mais une véritable oeuvre littéraire qui détourne le genre en vogue pour faire passer un beau message.

"... une dame à sa haute fenêtre
Blonde aux yeux noirs en ses habits anciens
Que, dans une autre existence, peut-être,
J'ai déjà vue et dont je me souviens."
Gérard De Nerval, Fantaisie, Petits châteaux de Bohème (1853)