Trouver les mots à poser à côté de ceux d'Isabelle, ceux qui sauront parler de cette histoire si joliment offerte ne va pas être facile. Néanmoins, je vais essayer !
L'essence d'un livre, ce n'est pas l'objet en tant que tel, non, ce qui fait l'essence d'un livre, c'est l'histoire qu'il porte, celle qu'il abrite, qui l'habite, et qui voyage de main à main lovée entre ses pages. Pourtant, impossible de parler de L'homme qui n'aimait plus les chats sans aborder en premier lieu la « maison de papier » qui héberge l'histoire. Les éditions du Panseur, pour cette première publication, nous offrent une magnifique maison de papier ; sur un superbe fond bleu, les mots de l'auteure se révèlent à la lumière, et le livre se transforme sous nos yeux, comme l'histoire portée nous transformera. Car c'est bien de transformation dont il s'agit : de la manière dont l'histoire, au fil des mots, au son des voix portées va peu à peu s'imprégner, dépasser et tordre les réticences du lecteur comme celles de l'auteur afin d'opérer une métamorphose. Lire — et avant cela écrire — comme se blottir dans un cocon, se faire chrysalide, renaître par delà les peurs et enfin, se révéler à la lumière.
Ce qui marque, à cette lecture, c'est avant tout la voix chargée d'embruns du narrateur. Une voix rocailleuse. C'est aussi la poésie qui se dégage. La lecture à voix haute est magnifique. Elles sont rares, les histoires écrites pour être racontée. Celle-ci l'est.
« Imagine une île », avec ses habitants, sa mer, son phare et ses chats. Des chats auxquels on ne prête pas attention. Ils sont là, c'est tout. Imagine maintenant qu'un jour, tous les chats disparaissent. Comme ça, sans prévenir. Un matin, l'île est toujours là, avec ses habitants, sa mer son phare, mais plus aucun chat. Et lorsque l'un des habitants part sur le continent, à la recherche d'une explication, le voilà qui revient avec de drôles de chats : de ceux qu'on tient en laisse et qui aboient. Non non ! Pas des chiens ! Des chats. Des chats d'un autre genre, c'est tout.
« Y avait la mer et ses tempêtes qui rythmaient les saisons ; y avait le vent qui vous prend au corps, qui vous rappelle que le monde existe ; et nos chats qui ronronnaient comme la mer et le vent. C'étaient les trois instruments de la musique de notre île. »
Au fil des pages, et surtout mine de rien, sans en avoir l'air, l'histoire questionne le vivre ensemble, le groupe, le faire société, tous ces gros mots dont on nous tartine à longueur de journée sans jamais prendre le temps de réfléchir au sens. L'histoire questionne aussi la liberté. Celle de la personne comme celle du groupe. Et la responsabilité, qui est sans doute le liant de tout cela.
L'auteure interroge aussi le langage. La langue dans son rapport au monde, comme une fenêtre sur le réel. La langue comme un outil de transformation, pour le plus laid comme le plus beau.
« Il parlait le convaincu. C’est une langue étrange ça, le convaincu, une langue à sens unique faite des mêmes mots que nous, mais un peu différente: elle ne connaît pas les points d’interrogation. Et puis, c’est une langue qu’on ne remarque pas sur le coup. Elle change celui qui la parle, ça oui, elle le transforme, et quand on s’en rend compte, c’est déjà trop tard. »
Pour rattacher, pour l'anecdote et parce que ces chroniques ne sont pas grands choses sans lier au personnel, j'ai reçu L'homme qui n'aimait plus les chats à la fin d'une semaine grise de lassitude et noire de colère, avec une grosse envie de baisser les bras. Cette lecture m'a invitée à envisager mon engagement sous un angle différent et la fin possible comme un (re)commencement et une co-naissance plutôt qu'un renoncement. L'impact sur mon réel a été surprenant, et chouette aussi. Une belle rencontre, une respiration nécessaire en plein étouffement !
Une histoire à lire, à dire, à offrir, à faire voyager de main en main. Une histoire pour les petits comme pour les grands. Une histoire pour se faire du bien et prendre de la hauteur.
«Les chats, je les aime parce qu'ils ne nous sont pas soumis. Ils viennent parce qu'ils le veulent, non par habitude, ou de ne pas savoir où aller. J'ai réalisé qu'à la question "c'est quoi un chat pour vous ?", j'aurais dû répondre : "un animal qui ne se tient pas en laisse". J'aurais dû répondre : "la liberté d'être soi". »