Ecrit il y a sept ans maintenant par Louis-Georges Tin, L'invention de la culture hétérosexuelle est un essai au titre trompeur. Il n'y est en aucun cas question de dire au lecteur qu'il n'est pas hétérosexuel, ou que son orientation sexuelle a quelque chose de fallacieux mais que l'hétérosexualité est d'abord et avant tout une culture sur laquelle nos sociétés sont fondées. Pour cela sont mobilisées différentes ressources appartenant à l'Histoire et à la littérature, non pas pour démonter une affabulation mais bel et bien pour remettre en perspective un processus de création de l'hétérosexualité telle qu'elle est définie aujourd'hui. Remontant jusqu'aux prémisses du Moyen-âge, l'essai raconte comment l'hétérosexualité en tant que norme est parvenue à triompher dans trois domaines : la société (chevaleresque en l'occurence), la religion chrétienne et enfin la médecine.


Les débuts du Moyen-Âge sont marqués comme le prouvent les chansons populaires d'alors par les relations de type homosociales, c'est-à-dire des relations entre hommes sans qu'il n'y ait une implication sexuelle avérée. Vassaux et seigneurs boivent, guerroient et dorment ensemble dans le même lit. Amis à la vie à la mort, leurs batailles sont de loin plus importantes que les femmes avec lesquelles ils sont mariés. Pis encore, certains refusent même l'union sacrée de peur de perdre leur amitié si précieuse, si fusionnelle avec leur compagnon de joute. Et puis vient l'amour courtois qui renversa complètement la situation : les conservateurs d'alors jugeaient cette nouvelle mode peu virile, rendant les hommes mous quand ceux-ci devaient prouver leur force lors des batailles armées. Au final, et de façon très résumée (j'ai ici sauté tous les passages en vieux français du livre) l'amour courtois l'emporta sur tous les tableaux, tant et si bien qu'il devenait suspect de ne pas y succomber. Combien de malheureux furent accuser d'être des sodomites ?


Il es intéressant de constater à quel point l'Eglise a toujours eu le chic de se battre pour des privilèges qu'elle perdrait d'avance. La fin du Moyen-Âge et le début de la Renaissance furent marqués par un combat idéologique de toute autre sorte. L'amour avait triomphé, mais l'amour de Dieu devait être plus important face à toute cette débauche détournant les individus de leur véritable destin. Beaucoup d'auteurs de pièces de théâtre d'alors furent mobilisés afin de maintenir une culture de l'abandon des sentiments avilissants. Au final, la seule chose que l'Eglise gagna fut le sacrement du mariage, scellé en des temps anciens par le père de la mariée. Malheureusement, le divorce d'Henri VIII le précurseur mit fin de façon funeste à cette domination temporaire.


La médecine n'est pas non plus en reste. L'amour entre hommes et femmes était sacrément réputé au Moyen-Âge pour donner la lèpre aux paysans qui s'y adonnaient de façon excessive. Au fil des siècles, la médecine déplaça ses préoccupations sur les femmes par le biais de l'érotomanie, maladie qui faisait alors des ravages et enfin, l'homosexualité. Si au départ l'hétérosexualité était considérée comme une maladie comme on le trouve dans une définition d'un dictionnaire d'époque (appétit sexuel anormal ou perverti pour l'autre sexe), ce fut l'homosexualité qui intéressant vivement médecins et psychiatres, au point que l'éducation en fut profondément influencée. Le principe même de la mixité à l'école fut proposé par un médecin afin d'éviter les amitiés illicites entre individus de même sexe. Encore aujourd'hui, peu de textes à l'école font état de cultures différentes de l'hétérosexualité.


Ce résumé assez long du livre est nécessaire pour en comprendre le propos général, mais également la notion d'impensé : l'hétérosexualité est une culture dont le triomphe totalitaire a transformé ce qui est un acquis social en pensée essentialiste, à tel point que l'on se pose finalement sans cesse l'origine de l'attrait pour l'autre sexe quand on omet de creuser du côté de la norme. L'histoire, la littérature permettent non seulement de voir que les choses n'ont pas toujours été ce qu'elles sont actuellement, mais aussi que beaucoup de spécialistes ont malheureusement omis de remettre leur objet d'étude dans leur contexte, preuve s'il en est que se débarrasser de ses schémas dans la prise de recul est une tâche ardue.


Mon seul regret au sujet de cet essai concerne tous les passages en vieux français pas forcément traduits, difficilement compréhensibles et qui au final donnent une impression d'énumération de listes. Pour le reste, sachant qu'il y aurait a priori une trilogie à venir d'après l'auteur lui-même j'attendrai la suite.

-Ether
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le 8 mai 2015

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