Élevée dans la semi-clandestinité par un père homme des bois qui lui apprend tout ce qu’une adolescente doit connaître pour savoir s’adapter à tout, Caroline tient un « journal » (p. 16). Pas un journal intime avec cœurs roses et fermoir en fer-blanc, plutôt une chronique de leurs pérégrinations, rencontres et accidents, depuis l’été 1999 (p. 34) jusqu’à, mettons, 2003 ou 2004, en huit chapitres — et on découvrira à la fin une explication à ce nombre. La bonne nouvelle, c’est qu’en plus de cette intrigue bétonnée, l’Abandon évite les écueils du roman-expérience-sur-l’enfant-sauvage, aussi bien que ceux du récit initiatique nature writing vaguement outlaw — façon « oh ! un daim ! oh ! regarde comme cette pomme de pin est belle, cent fois plus belle qu’un insigne de flics… »
Comme la narratrice est censée écrire pour elle, on ne saura pas grand-chose des personnages principaux, et rien de plus sur elle que ce que nous en laisse deviner le style de l’écriture, très marqué — et j’imagine que les traducteurs ont fait du bon travail. Le lecteur peut se faire enquêteur avec le texte comme seul indice, ce qui est en soi un bon point. Et le journal d’un adolescente qui le parsème de digressions telles que « Un sorcier est quelqu’un qui pratique la magie mais peut être aussi une personne qui accomplit une tâche ou réussit brillamment un teste, comme une série de questions, une épreuve, un malheur, une mésaventure, une tribulation ou un tourment. » (p. 81) intrigue incontestablement.
Et le titre est très bien, polysémique à souhait.