Vous feriez quoi, vous, si un inconnu vous contactait, vous personnellement, en restant très vague sur les événements qu’il voudrait évoquer ? Dans ce cas, le narrateur est journaliste/écrivain et reçoit cette proposition sur son télécopieur, le 22 mars 1995. Appât : des faits survenus à Sakura ga Oka (signification : La Colline-aux-Cerisiers), un quartier bien restreint de Tokyo où réside le narrateur, au troisième étage d’un immeuble anonyme. La curiosité étant la plus forte, le narrateur rencontre dans un bar, un certain Satoshi Hanazono. Celui-ci lui explique avoir observé des faits inquiétants dans le quartier, à la suite de quoi il lui remet un gros paquet de documents relatant ses observations, avec un certain nombre d’objets pour illustrer ses propos souvent succincts. Bien entendu, quand on est vraiment curieux, on ne se contente pas d’écouter cet inconnu, une fois qu’il a filé on s’intéresse à la masse de documents qu’il laisse et on tente de l’organiser, de comprendre.


Ainsi, toute la première partie (intitulée « Le dossier ») consiste en une succession de textes relatant des observations ayant retenu l’attention d’Hanazono. Elles s’étalent sur plusieurs années, au cours des années 80. Cela va de l’assassinat d’une hôtesse de bar à un objet piégé aux lames de rasoirs dans un distributeur automatique de boissons, en passant par une série d’incendies criminels. L’ensemble laisse dubitatif, car un peu fourre-tout (à l’image de ce que promettait Hanazono). De plus, le choix de narration donne un côté artificiel, car on peut se demander l’intérêt de faire raconter une partie des faits par le narrateur plutôt que par Hanazono lui-même, l’observateur de première main. A certains moments, on se demande même qui est le narrateur.


La seconde partie (intitulée « La poursuite ») apporte suffisamment d’éléments pour qu’on comprenne les choix de la première partie. Cette fois, le narrateur explore à son tour le quartier, à la recherche de lieux, faits, personnes qui pourraient correspondre avec ce qui figure dans le dossier laissé par Hanazono. L’action se passant de nuit, tout bruit inhabituel, une odeur inattendue, une ombre surprenante, un dessin original ou une démarche précipitée, tout prend des proportions d’autant plus suspectes que le narrateur à l’affut recherche de quoi faire travailler son cerveau.


Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer avec le titre, il ne s’agit pas ici d’un roman policier classique, avec recherche d’indices, de suspects, de mobiles ou d’alibis à propos d’un ou plusieurs meurtres, suivis de l’identification, de l’arrestation ou du châtiment de coupable(s).


Par contre, ce court roman (1996), se révèle très intéressant par ses descriptions minutieuses. Il en dit énormément sur l’ambiance et la façon dont vivaient les japonais dans ce quartier à l’époque. Il en dit beaucoup aussi sur l’évolution des mentalités. Même si beaucoup de détails peuvent s’expliquer par l’action exclusivement nocturne, on sent un grand isolement des individus dans une société préoccupée de rationalisme. On note ainsi que les cerisiers se font de plus en plus rares dans ce quartier. Même ceux qui ornaient les porches des maisons, par paires (un de chaque côté) ayant quasiment tous disparus. Cet ornement étant désormais réservé à une voie du centre-ville, comme si le but était uniquement d’entretenir une certaine image, plus ou moins à destination des touristes.


Autre originalité de ce roman, son aspect psychologique. En effet, le narrateur s’intéresse de plus en plus à la personnalité du fuyant Hanazono. Pourquoi ce solitaire maniaque de l’observation s’est-il tant intéressé à ce qui se passait dans le quartier, alors que la police faisait son travail ? Beaucoup d’articles de presse figurent dans le dossier, mais comme si tout cela ne relevait que des faits divers. Et puis, l’ensemble fourni par Hanazono est un vrai fouillis même pas chronologique, comme si l’homme avait été dépassé par ses observations.


Même si mon exploration de la littérature japonaise reste embryonnaire, il me semble que ce roman est très japonais dans son esprit, sa conception. Notons au passage que son auteur, Tomomi Fujiwara a reçu le prix Akutagawa (équivalent japonais de notre prix Goncourt) pour son précédent roman Le conducteur de métro (1992). Pour tenter de préciser mon impression, les romans japonais sont rarement des fresques de l’ampleur de certains romans américains par exemple. Mais on peut y trouver de la subtilité dans la description de petits riens, de sensations, malgré des trames souvent déconcertantes pour le lecteur européen. Justement, on ne peut pas passer à côté du titre (qui rappelle énormément celui d’une nouvelle de Jules Barbey d’Aurevilly : Le bonheur dans le crime), titre qui prend une nouvelle dimension une fois la lecture terminée.


L’aspect psychologique va loin, puisque le narrateur s’intéresse aux positions d’agresseur et de victime. L’amour du crime suppose une certaine mentalité. Est-ce la jouissance de devenir criminel, de faire souffrir, d’exercer un pouvoir inimaginable sur autrui, ou bien seulement celui de l’observateur qui se délecte de ses investigations ? Dans ce cas, on comprend que le roman ne repose pas sur une enquête à propos d’un fait ou de plusieurs qui seraient liés. Ici, il est question de l’activité dans un quartier, avec tout ce qui peut s’y passer. A elle seule, la chute justifierait une relecture attentive des 230 pages de ce roman inclassable.

Electron
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le 2 janv. 2018

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