Cette nouvelle d'Alexandre Grine nous fait voyager à Petrograd, dans un contexte de pauvreté qui semble tenir au corps de l'imaginaire de la ville, telle qu'on la connaît dans Crime et Châtiment. On y suit le parcours d'un personnage, contraint à revendre ses livres pour se nourrir, tombant sous le charme d'une femme dont il perd immédiatement le numéro de téléphone et qu'il parvient à retrouver suite à une enchaînement de péripéties étranges.
Néanmoins, Grine a un style qui se voudrait plus proche de l'expressionnisme à la Kafka, refusant avec ironie la prétention au réalisme, qui tue le réel à force de vouloir le cataloguer.
On y suit donc l'errance d'un personnage à qui la vie s'impose, à la manière des personnages de Kafka, et qui va essayer de trouver le salut dans une sorte d'errance, de fuite complice et passive face au destin, toujours violenté s'il cherche à comprendre le sens de son expérience.
Si le texte en lui-même demeure une fable un rien cryptique (les rats représentant sans doute le fait qu'ils ne quittent jamais vraiment le navire politique, même s'il change d'apparence), les empêchements successifs que rencontrent le narrateur et son expérience de l'absurde livrent quelques passages saisissants, notamment dans la description de l'ancienne banque centrale dans laquelle le personnage se voit obligé de loger (il y est d'ailleurs convié par un ancien épicier devenu agent immobilier).
On assiste à un morcellement de l'espace, d'objets dénués de leur sens, qui illustrent le chaos et l'absurdité ultime de ce à quoi on donne de l'importance une fois que les habitudes sont renversées. On nous représente en effet la chute du capitalisme rasé par la révolution, à travers un espace interne aussi claustrophobique qu'immensément vide... avec par ailleurs un côté très "jeu-vidéo" assez déroutant dans cette apparition aléatoire d'éléments semblables, dénués de cohérence, comme dans certains décors peu inspirés des premiers temps de la 3D.