La maison du pêcheur, tableau peint en 1906 par Harald Sohlberg, illustre la couverture de L'été des noyés dans sa version originale (mais pas dans l'édition française, bizarrement). Ce n'est pas un hasard, l'artiste norvégien est souvent cité dans le roman de John Burnside, pour évoquer le paysage dans lequel se déroule l'action du livre mais aussi pour mettre des images sur le travail de la mère de la narratrice, peintre "recluse" volontairement avec sa fille, Liv, dans une île du Grand Nord, proche de l'Arctique. L'été des noyés est entièrement conté par Liv, une décennie après les faits, alors qu'elle venait d'avoir 18 ans et qu'elle ne savait encore que faire de sa vie, bien qu'elle sache déjà qu'elle voulait avant tout "qu'on la laisse tranquille". Un été de noyades et de disparations où la confusion s'empara de son esprit entre la réalité et l'illusion, un état chaotique et peut-être délirant que rend de façon merveilleuse la plume magique et onirique de Burnside. C'est un roman qui se lit à petites goulées, lentement, pour en apprécier le sinueux cheminement, contemplatif souvent, avec des descriptions superbes de paysages, de lumières et de temps changeants. De même pour les états d'âme de Liv, aussi versée dans la solitude que l'est sa mère, avec pour seul ami un vieux raconteur de légendes, notamment celle de la huldra, troll déguisée en femme sublime pour attirer à elle et faire disparaître les jeunes garçons. John Burnside captive et ensorcelle à partir du moment où l'on se plie à son rythme lent et hypnotique. Le livre est incroyablement précis dans les détails de la vie quotidienne et dans les rapports mère/fille, sans doute la clé du récit, avant de glisser comme dans un rêve dans le surnaturel. L'alchimie est là : entre le réel et l'imaginaire ne subsiste qu'une fine pellicule de glace. Le lecteur, lui, doit s'en remettre à ses propres raisonnement et sensibilité et sait qu'il devra y dénicher les réponses qu'il ne trouvera pas dans le roman. L'été des noyés est comme un tableau de Sohlberg, il laisse toute la place à un univers, fabuleux, atroce et fantasmé. C'est beau, déroutant et bouleversant.