Liv la narratrice, une jeune femme âgée de dix-huit ans au moment des événements, et qui raconte cette histoire dix ans plus tard, vit avec sa mère Angelika Rossdal, une artiste peintre aussi réputée pour son œuvre que pour sa beauté et la vie de recluse qu’elle a choisi de mener sur Kvaløya, une île du nord de la Norvège perdue à soixante-dix degrés de latitude nord, en tournant le dos à Oslo et au vaste monde. Une vie solitaire pour Liv, une jeune femme particulière, dans laquelle Kyrre, un voisin farfelu obsédé par le folklore et les mythes fantastiques norvégiens, lui tient lieu d’ami et presque de père.
«Dans la maison de Kyrre, il y avait des ombres dans les plis de toutes les couvertures, des frémissements imperceptibles dans le moindre verre d’eau ou bol de crème posé sur une table, d’infimes poches d’apocalypse dans l’étoffe de la réalité, prêtes à crever et à se répandre sur nous, de même que le premier souffle d’une tempête fond sur le rameur en haute mer. Dans la maison de Kyrre, il y avait des souvenirs d’événements réels, d’écoliers et de garçons de ferme morts de longue date, sortis de chez eux aux premières lueurs du jour, cinquante ans plus tôt, et revenus dérangés – dérangés à tout jamais -, effleurés par une chose innommable, un battement d’ailes ou un courant d’air dans la tête, là où la pensée aurait dû se tenir.»
L’arrivée de l’été après la longue obscurité hivernale du cercle polaire arctique, avec la lumière toujours présente, le ciel envahissant et le calme profond, perturbe le rythme et le sommeil des hommes. Le temps et l’espace prennent alors un nouveau rythme, semblant se coaguler et se rapprocher par moments de la paralysie, et donnent à l’environnement une dose d’étrangeté et d’irréalité. Ayant achevé ses études au début de cet été là, ne sachant pas de quoi serait fait son avenir, Liv se laisse porter par l’observation de la lumière, des paysages et des gens qu’elle aime regarder.
«Je suis l’un des espions de Dieu. Je ne crois pas en Dieu, du moins pas à la manière classique, mais je pense vraiment être là pour une bonne raison, en d’autres termes pour monter la garde. Prêter attention. Voilà très longtemps, les membres d’une ancienne tribu mexicaine se relayaient à tour de rôle pour surveiller le coucher du soleil, puis attendaient toute la nuit, aux aguets, qu’il revienne… sans jamais présumer qu’il le ferait, ni jamais considérer que la lumière allait de soi.»
Visionnaire ou folle ? Liv va en tous cas être le témoin et l’interprète incertaine des événements de l’été des noyés. Deux de ses camarades d’école, Mats Sigfridsson, et quelques jours plus tard son frère Harald, sont retrouvés cet été-là de façon incompréhensible, noyés dans un canal, à proximité d’un canot qui dérive, malgré des conditions météorologiques extrêmement paisibles. Deux autres hommes vont disparaître eux aussi sans raison, ou plutôt s’évanouir littéralement dans le cas du dernier d’entre eux.
Avec ses descriptions éblouissantes de la nature sereine et de la lumière limpide du grand Nord, dans lequel des phénomènes inquiétants et surnaturels semblent toujours pouvoir surgir, le huitième roman de John Burnside se lit comme on chercherait à déchiffrer un rêve aux images incertaines, oscillant sur la frontière insaisissable entre connaissance et croyance. Thriller singulier à l’écriture magique, comme «Scintillation», «L’été des noyés» est un roman qui hypnotise, ambigu jusqu’à la dernière page et d’une beauté stupéfiante.
«Les histoires de Kyrre n’étaient pas toutes anciennes, cependant. Pour les gens comme lui, il n’existait pas d’autrefois : tout n’était que présent, continuité. Ce qu’il advenait maintenant, en plein jour, faisait partie d’un mystère éternel, d’une histoire dans laquelle les vivants et les morts, les fous et les sains d’esprit, le tangible et le fantomatique étaient interchangeables…»
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