Voilà un livre que j'ai découvert peu après sa sortie. L'enquête historique dont il est question ici est, comme le précise un autre critique, stupéfiante. Comment un tel "détail de l'histoire" a-t-il pu être celé à ce point par les historiens, surtout concernant des pages de l'histoire aussi minutieusement, passionnément fouillées et débattues ?
Une partie de la réponse vient évidemment de ce que de nombreuses et précieuses archives au sujet de la place des drogues dans le troisième Reich nazi et l'armée allemande de l'époque n'ont été ouvertes que très très tardivement. Ce sont ces archives sur lesquelles Norman Ohler a travaillé avec curiosité et rigueur. Ses nombreuses références ainsi que l'hommage qui lui est rendu par les historiens Hans Mommsen et Ian Kershaw peuvent en témoigner.
Mais alors comment une telle bombe peut-elle encore fait long feu, au point que depuis 2016, date de sortie du livre, seules deux critiques ont paru sur Sens Critique à son sujet ? Est-ce parce que le sujet n'intéresse plus les foules ? Certainement pas, les passions se déchaînent encore quotidiennement sur l'histoire martiale en général, l'histoire de la 2de guerre mondiale en particulier. Le livre de Norman Ohler, explosif car il remet en question fortement la narration de la Blitzkrieg qui nous a été imposée depuis trois-quarts de siècle, devrait avoir lancé un débat bien plus populaire que cela, même pour en condamner la méthode (les erreurs ?) et les conclusions. L'oubli que lui infligent nos contemporains, si zélés à s'entre-déchirer pour savoir sous quel uniforme étaient les plus forts d'entre les belligérants, semble incompréhensible. Je ne parle pas du mépris dont l'auront entouré les médias, au moins les médias français, toutes tendances confondues.
Serait-ce donc parce qu'il vient bousculer un roman historique que peu ont le courage de critiquer ? Est-ce parce que son auteur est allemand ? Ou peut-être encore est-ce parce que la question des drogues utilisées par les armées du monde entier embarrasse les pouvoirs avides de gloriole suprémaciste et militaire, autant que l'usage de l'EPO, amphétamines et autres drogues a gêné le monde olympique, et sportif en général ? Sans compter le monde des affaires, de l'industrie, des loisirs et du show-business et bien évidemment le monde politique.
Quoiqu'il en soit, Norman Ohler a fait mouche avec cet ouvrage et je lui souhaite d'en tirer un jour une légitime célébrité.
N'ayez crainte de l'ouvrir : vous goûterez là à une drogue à laquelle vous ne serez addict que de la première page à la page 250.