L’Allemagne nazie figure parmi les sujets de prédilection de nombreux historiens et lecteurs. L’attrait pour cette période historique s’explique peut-être par la fascination exercée par l’engagement total d’une nation sur la voie d’un extrémisme destructeur relevant d’une irrationalité difficilement compréhensible. Un naufrage dont on peine à épuiser les motivations comme le contexte et dont les conséquences pèsent encore lourdement sur les consciences et sur l’inconscient collectif, même si le temps contribue à effacer les scrupules de ses admirateurs.


Indépendamment de cet attrait et des velléités négationnistes qu’il peut susciter, il est difficile de proposer une approche apte à renouveler notre perception des faits. Norman Ohler relève pourtant le défi avec intelligence, proposant de revisiter le nazisme à l’aune de l’usage qu’il fit des opiacés, psychotropes et autres stéroïdes. Et si L’utilisation de stimulants ou de drogues pour affûter l’ardeur au combat ne fut pas une invention allemande, le procédé a atteint sous le Reich une ampleur à proprement parlé stupéfiante. Journaliste et documentariste de formation, Norman Ohler n’en fait pas moins œuvre d’historien, s’appuyant sur une documentation solide dont il indique les sources, tout en adoptant les méthodes de l’historien pour mener l’enquête. En dépit de quelques erreurs factuelles, il dévoile de façon convaincante l’emprise de la toxicomanie sur la société allemande, la drogue devenant en quelque sorte la continuation de la politique et de la guerre par d’autres moyens.


L’Allemagne est un terrain favorable pour le développement des drogues. L’essor de l’industrie chimique et la volonté de doter la nation d’un approvisionnement sûr va amener les laboratoires allemands dans l’après-guerre à synthétiser et breveter de nouvelles substances au point de conquérir un véritable leadership dans ce domaine. Morphine, cocaïne, héroïne, les années 20 deviennent ainsi les années dope. L’irruption du nazisme sur la scène politique, si elle s’accompagne d’un programme d’hygiène raciale, ne change pas pour longtemps la donne. Certes, on condamne ces produits qui affaiblissent la race, contribuant à la déchéance de l’Allemagne. On dénonce les méfaits des drogues comme ceux des Juifs. Mais, les mêmes préventions n’existent pas pour la méthamphétamine dont on use pour ses vertus stimulantes. Déclinée sous la dénomination de pervitine, cette substance est commercialisée sous forme de comprimés et même de pralines, devenant l’adjuvant idéal de l’essor du national-socialisme. La pervitine accompagne la propagande et restaure la confiance dans le Reich auquel rien ne semble s’opposer ou résister.


Préconisée par l’état-major, en dépit de ses effets secondaires dévastateurs, effondrement psychologique, dépression et dépendance, la pervitine rejoint l’arsenal de la Wehrmacht afin de combattre un ennemi insidieux : la fatigue. Testée pendant l’invasion de la Pologne, on fait un usage massif de cette drogue au cours de la campagne de France. La supériorité allemande n’est donc pas seulement stratégique mais aussi chimique, les troupes étant dopée au speed pour accomplir les exploits loués par la propagande et pallier aux faiblesses matérielles du plan de conquête. La blitzkrieg se joue ainsi autant sur le terrain que dans le cerveau des soldats où les neurotransmetteurs subissent l’assaut d’une véritable tempête chimique.


Mais, la consommation de drogues ne se cantonne pas seulement à la population, à l’armée et à l’état-major, elle concerne le Führer lui-même, ou plutôt le patient A comme le spécifie le Docteur Theo Morell dans ses carnets. En proie à des maux chroniques, Hitler a remis son destin médical entre les mains de Morell, un charlatan qui croit avoir découvert la panacée universelle en injectant dans les veines de ses patients toute une panoplie de substances chimiques de sa composition. Glucose, stéroïdes, composés vitaminés divers, psychotropes, calmants, fortifiants, le maître seringueur du Reich, comme le surnomme Goebbels, met en œuvre toute une pharmacopée pour soigner Hitler, contribuant à aggraver les dysfonctionnements de son organisme. Procédant d’une symbiose malsaine, Morell accompagne ainsi la déchéance du Führer et du Reich, apportant sa contribution au processus autodestructeur mis en place au fil des revers militaires de la Wehrmacht.


L’Extase totale apparaît donc comme un essai stimulant et documenté. Le style dynamique et imagé de Norman Ohler confère à l’ouvrage un attrait indéniable, tout en marquant l’esprit. Voici une lecture dont on ressort littéralement stupéfié.


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leleul
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le 18 juin 2020

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