Partie seule à Téhéran, la narratrice y fait la rencontre de Tala et de sa petite fille Bijan. Ensemble, elles se lancent sur les traces du passé mystérieux de la mère de Tala, qui, en mourant, n’a laissé qu’une poignée de photographies prises sur l’île de Qeshm, l’île longue.
Menée par une jeune femme occidentale dont on ne connaîtra rien, même pas le prénom, sinon que son voyage solitaire en Iran ne soulève que réprobation et incompréhension, la narration déconcerte dès le premier abord par l’ampleur des ellipses qui nous jettent un peu perdus dans une histoire comme prise en cours de route, qu’il faudra accepter comme elle vient, sans toujours tout comprendre du premier coup. Peu à peu, les repères se mettent malgré tout en place, et de ce flou artistique, aux phrases parfois étranges tant la suggestion l’emporte sur l’explication, finit par émerger un motif auquel se raccrocher.
Ainsi donc, une Iranienne et une étrangère se rencontrent par hasard dans une Téhéran labyrinthique et fourmillante, où surnage, quand on y est femme, la sensation étouffante d’une pression menaçante, concrétisée notamment par les strictes consignes entourant le port du voile. Leur relation instantanément intime rend très vite fusionnel le trio qu’elles forment avec la petite Bijan. C’est donc toutes les trois qu’elles entreprennent le voyage jusqu’à l’île longue, située à une dizaine de kilomètres de la côte Sud de l’Iran, là d’où est originaire la mère de Tala, morte sans avoir jamais rien dévoilé de son passé, si ce n’est la maladie et les douleurs qu’elle en avait conservées.
Dès lors, dans ce paradis de sable noir pailleté d’argent, à l’atmosphère néanmoins étrange, empoisonnée par la curieuse aversion que suscitent chez les habitants les photographies de la mère de Tala, le récit qui, à tâtons, se met à explorer une mémoire occultée par la peur, verse de plus en plus dans un onirisme un peu obscur, mais dont la poésie au parfum de conte persan permet de suggérer en douceur l’horreur de l’enfermement et de la torture, quand « ils » ont décidé de briser toute liberté de penser et de s'exprimer.
Inventive et maîtrisée, la plume de Victoire de Changy est impressionnante de virtuosité et de puissance de suggestion. Elle pousse toutefois si loin l’approche à la fois impressionniste et symbolique de son sujet, que l’on peine à ne pas s’égarer dans la narration, magnifique mais souvent déconcertante. Le résultat est un livre singulier, à la poésie presque abstraite, pour dénoncer la dictature et la privation de liberté, en particulier celles des femmes, dans un Iran splendide d’ombre et de lumière.
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