Ouvrage salutaire que cette sorte de biographie de Georges Ayache sur Richard Nixon. Tricky Dick, surnom péjoratif dont il fut affublé dès les débuts de sa carrière politique, souffre en effet aujourd'hui d'une très forte dépréciation dans l'historiographie, héritée comme nous le montre l'auteur d'une intense tradition hostile à ce natif de Whittier, petite bourgade californienne, et issu d'une famille très pauvre.


À une époque où la politique nationale des États-Unis était phagocytée par la côte Est (pensons à la domination absolue des démocrates sous l'égide de FDR pendant vingt ans), la figure atypique de ce travailleur acharné pour sa propre réussite sociale avait de quoi susciter nombre de moqueries dans l'entre-soi très huppé des Kennedy, des Roosevelt ou des Rockefeller. Autant de noms prestigieux qui furent amenés à croiser le fer contre Nixon dès lors que ce dernier fit mine d'avoir des prétentions à des responsabilités politiques contraires à son extraction plébéienne.


Ayant su capter les influences communistes (dont Ayache nous rappelle qu'elles étaient bien réelles au début des années 1950 aux US, n'en déplaise à certains) et les critiquer avec beaucoup d'adresse sans tomber dans les travers d'un irascible hystérique comme McCarthy, Nixon s'était forgé une stature politique à même de lui assurer un avenir apparemment radieux sur le devant de la scène nationale. C'était sans compter sur la machine journalistique de la côte Est et les réticences à peine dissimulées de ses collègues républicains, contre lesquelles Nixon dut batailler avec ardeur tout au long de sa carrière. Peu gâté par Mère Nature sur le plan physique, incapable de se débarrasser totalement d'une asociabilité tenace, Nixon fut à peu de choses près un solitaire nous dit Ayache, un sublime solitaire qui dut résister parfois à la limite de flancher nerveusement aux attaques ad hominem inlassablement portées contre lui (et dont le rappel page après page apparaît a fortiori nécessaire).


Sans dédouanner le 37e président des US de sa responsabilité dans l'affaire du Watergate, indubitable et réelle, Ayache prend le pari de remettre en perspective cette entreprise dans le cursus politique extrêmement chahuté pour ne pas dire invivable auquel Nixon dut faire face pendant vingt ans en politique. L'auteur vient en cela mettre à mal une historiographie idolâtrant la famille Kennedy et ses sicaires sous couvert du tragique destin réservé à Jack (JFK) et son frère Bobby, sans pointer du doigt les collusions désormais prouvées entre eux et la pègre de la côte Est, entre autres.


C'est aussi d'une puissante industrie médiatique en plein essor qu'Ayache fait ici le portrait, avec ses éditorialistes affidés aux réseaux d'influence et d'argent et ses journalistes jamais en rade d'une remarque désobligeante voire insultante à l'égard de celui que tout le monde surnommait de façon mesquine le "tricheur", sur la base d'aucune preuve tangible mais uniquement de rumeurs.


Le diplomate rappelle pourtant que le bilan politique de Nixon fut loin d'être négligeable, bien au contraire : avant et pendant sa présidence, il remplit des missions (qui lui furent parfois ordonnées ingratement) avec tout le sérieux et la méticulosité qui étaient siennes. N'oubliant jamais ses origines pauvres, ses études poursuivies parfois le ventre vide et avec comme seul toit la cabane d'un jardin universitaire, Nixon a conservé tout au long de sa vie une soif inextinguible de travail amenée à se transformer en ambition, en rage de vaincre, en désir d'annihiler ceux qui œuvraient avec une conviction parfois infâme à ternir sur la base de simples rumeurs son honneur.


Outsider pas seulement en carrure politique mais aussi en extraction sociale, il a en quelque sorte contribué à cristalliser sur sa personne des attaques venant mettre à mal un certain mythe de l'ascension sociale aux US, de l'American Dream, à l'heure de la remise en question du New Deal rooseveltien et de la guerre froide.


Défenseur "pur" d'une idée traditionnelle du libéralisme économique, hostile à l'ingérence de l'État dans les affaires privées et la propriété personnelle, il était en cela la cible idéale d'un establishment aussi bien républicain que démocrate désireux en premier lieu de faire passer ses intérêts de caste avant ceux de la Nation. Un constat qui ne peut s'empêcher de résonner avec l'actualité politique et sociale américaine d'aujourd'hui...

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le 18 févr. 2021

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