La crypte des Capucins est la suite de la Marche de Radetsky et désigne la crypte dans laquelle sont conservées les dépouilles de la famille austro-hongroise. La préface de Blanche Gildon, sa première traductrice en français, qui côtoya Joseph Roth dans ses derniers jours d'exil à Paris en 1939, explique qu'il ne s'agit plus de montrer l'empire austro-hongrois se défaire, mais de mesurer ce qui le remplace. Ce n'est pas complètement vrai.
D'abord, le roman commence alors que l'empire existe encore. On suit un jeune Trotta (23 ans), issu d'une famille de rentiers viennois. Il a une maîtresse, Elisabeth. Il croise un cousin Joseph Branco, marchand de marron en Galicie (Pologne actuelle), et aide une des connaissances dudit cousin, le cocher Manes Reisiger, à inscrire son fils au conservatoire, malgré l'antisémitisme. Trotta va voir son cousin à Zlotogrod, et y apprend la nouvelle de la guerre. Les trois hommes s'engagent dans ce qui s'avère n'être qu'une longue retraite militaire avant d'être faits prisonniers.
Toute la première moitié du roman rappelle énormément La marche de Radetsky, avec des similitudes frappantes, mais qui ne font pas redites : cette ambiance guillerette où l'on collectionne les amourettes, ce monde assez étriqué, coincé aux entournures, ponctué de repas guindé, ces petites gares de province qui se ressemblent toutes, cette ambiance viennoise où vient se déverser toute la Mitteleuropa, ces cafés où l'on retrouve ces habitués qui jouent au trictrac ou lisent les journaux, ces marques de déclassement légères. On trouve même la scène d'agonie d'un vieux serviteur appelé Jacques, exactement comme dans La marche...
Alors, la seconde partie, au cours de laquelle Trotta, prisonnier de guerre, revient à Vienne après la défaite est-elle marquée par une description inquiétante de la montée de l'antisémitisme et du fascisme ? Pas vraiment. Car Joseph Roth aime suivre des destins individuels, et ici encore plus que dans La marche de Radetsky. On se concentre donc sur les interrogations multiples de Trotta à son retour de Vienne : n'ayant aucune situation, il revient chez sa mère et observe les marques croissantes de vieillesse de celle-ci. Il côtoie certes des individus qui connotent l'atmosphère des années folles : Elisabeth s'occupe d'art décoratif et vit avec une lesbienne au caractère dominateur, Yolande ; un curieux hommes entretenu, M. Kurt von Stettenheim, séduit bizarrement sa mère. Mais l'ambiance politique, on ne la ressent pas vraiment, notre personnage étant occupé à ralentir le déclassement inévitable : hypothèques sur l'hôtel particulier, transformation en pension (qui hélas accueille surtout les has been de l'empire, souvent insolvables), tentatives de reconquérir Elisabeth. Il est vaguement fait allusion à l'hyperinflation en Allemagne, mais comme à des phénomènes lointains.
Ce n'est que dans les cinq dernières pages que le contexte historique rattrape l'auteur : un individu de la SS vient proclamer la révolution populaire suite à l'attentat contre Dollfuss, et le café se vide rapidement. Le patron explique à Trotta qu'il devra trouver un autre café à l'avenir et lui souhaite bonne chance. Le roman se termine devant la crypte des Capucins, où il ne vaut plus montrer ouvertement de marque de respect aux empereurs défunts.
Le discours concernant l'empire est formulé par le comte Chojnicky, personnage de La marche de Radetsky que l'on retrouve ici enfermé dans l'asile du Stretthof. Pour lui, si l'empire s'est désagrégé, ce n'est pas du fait du nationalisme de chaque peuple d'Europe centrale, mais à cause de l'essor du pangermanisme. Rien n'aurait dû pousser les Austro-hongrois à se sentir proche des Prussiens abhorrés. Il y a aussi l'idée récurrente que l'empire était un monde fait de tout une civilisation matérielle qui a disparu (certains agencements de café, certaines marques de produit, etc...)
Un bon roman, tout à fait égal à celui qui lui précède, mais où, encore une fois, j'aurais aimé sentir un peu plus le souffle de la grande histoire derrière les destins individuels. Mais je peux comprendre la démarche.