La Dérive fasciste par Yananas
L’ouvrage de Philippe Burin est issu d’un travail datant de la fin des années 1970, et il est intéressant à plus d’un titre, puisqu’il met en avant les trajectoires singulières d’hommes de gauche vers le fascisme. Il souligne à quel point le débat historiographie du fascisme français est inséparable du climat politique et intellectuel il a éclos, à savoir, la montée en puissance du Front national après sa percée de 1984, renforçant à gauche la désorientation suscitée par la politique d’austérité du gouvernement. A droite, aussi bien qu’à l’extrême-droite, on se réjouissait de pouvoir souligner la participation de la gauche au fascisme. L’ouvrage, ne considère pas le fascisme comme une essence immuable, mais bel et bien comme une ligne de fuite, un point d’aboutissement virtuel, en réinvestissant parallèlement la question des acteurs historiques et leur participation à la construction – dans une dialectique faite de libertés et de contraintes – de la réalité historique. L’étude a aussi le mérite de prendre à bras le corps la question de la capacité d’attraction du fascisme, y compris dans des milieux dits de gauche, car, « rompant avec leur parti d’origine, ces hommes trouvèrent tous une plaque de réorientation dans l’idée d’un rassemblement national, idée à laquelle le fascisme donnait une traduction extrême » (p. 12). Philippe Burin pose le problème historiographique à une autre échelle, dans le cadre d’un délitement des valeurs républicaines et démocratiques ; d’où l’intérêt de reconstituer la fascisation de ces hommes de gauche que sont le radical Bergery, le socialiste Déat, et le communiste Doriot, appartenant à cette « nébuleuse de ces Français à la recherche d’une rénovation de leur pays, dans le sillage de la guerre, dans le contexte immédiat de la crise et sous le surplomb des fascismes triomphants». Ces trajectoires sont autant d’opportunités pour rappeler que le fascisme ne parvint pas au pouvoir et que l’on a davantage affaire à un phénomène d’imprégnation fasciste. En ce sens, l’interrogation sur le processus de fascisation garde tout son intérêt (notamment avec la notion de fascisme « collaborateur »). Par ailleurs, l’historien français reproche à Sternhell de considérer ce qui relève du rassemblement national comme du fascisme, et de ne pas prendre en compte le contexte international dans le cadre de l’étude de l’imprégnation fasciste en France. En somme, cet ouvrage constitue une intéressante interrogation sur les processus de dissémination et leurs limites.