Ruptures et continuités des politiques d'immigration en France

Très belle surprise que cet essai, remontant à 1991 et mis à jour en 2004, de Patrick Weil sur ce sujet très sensible des politiques de l'immigration en France.

L'ouvrage, de 450 pages, se subdivise en deux chapitres de longueurs inégales. Sur près de 300 pages d'abord, Patrick Weil a une approche très chronogique des politiques migratoires françaises retraçant le cadre juridique et politique les ayant entouré de 1938 a la fin des années 1990/ au tout début des années 2000.

Weil y éclaire d'abord les hésitations sur l'immigration entre 1938 et 1945, notamment sur le choix des immigrés puis l'essor d'une immigration de travail entre 1945 et 1973, réglée dans le cas général par les ordonnances de 1945 et mâtinée du cas très particulier des relations franco-algeriennes qui defrayent notre chronique quotidienne encore aujourd'hui et qui explique très bien le pourquoi des accords France / Algérie de 1968 octroyant un statut privilégié aux algériens par rapport à d'autres étrangers, hors UE, arrivant en France. Il montre ensuite la double rupture de 1973, avec la fin des politiques favorisant la venue d'étrangers puis avec la rupture giscardienne, qui va un cran plus loin avec notamment les tentatives pour élaborer des politiques favorisant les retours des immigrés à la fin des années 1970-essentiellement entre 1977 et 1981 avec leurs ambitions et limites. Weil s'intéresse ensuite aux politiques mitterrandiennes (NB Patrick Weil a contribué à mettre en œuvre cette politique entre 1981 et 1982), s'inscrivant en rupture avec le giscardisme sur certains points, à commencer par les régularisations d'immigrés, en continuité sur d'autres par exemple l'action répressive contre l'immigration illégale qui prend une nouvelle ampleur. Weil met enfin l'accent sur le relatif compromis gauche/droite qui va s'installer sur les sujets migratoires à partir d'une loi de 1984 relativement transpartisane, puis les évolutions de ce consensus, avec ses critiques et ses résolutions jusqu'à l'aube des années 2000.

Ce compromis, à grands traits, repose sur le refus de l'accueil des travailleurs peu qualifiés non européens (hors saisonniers), la liberté de circulation des citoyens de l'union européenne, le cas par cas pour les familles et le juste besoin pour les travailleurs qualifiés ou saisonniers non européens.

La deuxième partie, thématique sur 150 pages, est paradoxalement un peu plus datée : elle s'intéresse aux déploiement des politiques de visas, de logement, de scolarisation, d'octroi de la nationalité aux immigrés, avec leurs succès et leurs échecs (la politique de quotas aboutissant à une ghettoisation à l'opposé de ce qu'elle visait est à cet égard bien expliquée) et aux débats entre insertion communautaire et integration citoyenne existant à l'époque.

L'ouvrage de Patrick Weil bénéficie en outre d'une documentation fouillée, ne négligeant ni les dimensions économiques, ni les dimensions sociales de ces phénomènes. De ce fait, ce livre paraît une bonne synthèse pour s'acculturer sur ces politiques publiques si souvent débattues que sont les questions migratoires et ferait regretter qu'il n'ait pas été réactualisé pour couvrir la période 2004-2024.