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Circoncire ou pas, telle est la question que Shalom Auslander se pose à l'annonce de sa future paternité, bien avant celle du prénom de l'enfant à naître, voire de son sexe. Car dans son esprit, cela ne fait aucun doute : ce sera un garçon, Dieu y aura pourvu, ne fût-ce que pour le faire replonger dans les affres habituelles du doute et les abîmes de l'angoisse.
Pour Shalom, la chose est entendue, Dieu est un sadique.
Partout, depuis toujours, à la maison, dans son quartier juif orthodoxe de Monsey, New York, de la maternelle à la yeshiva, il n'a rien entendu, rien retenu d'autre. Il faut craindre Dieu, cet homme si fort qu'il peut détruire le monde, soulever les montagnes ou séparer les flots. Il faut lui plaire coûte que coûte. Quand Dieu est content, Il aime son peuple au point de tuer tous ceux qui ne l'aiment pas. Mais que son peuple Lui désobéisse et Il se met à le haïr. Parfois au point de le punir de mort ou d'envoyer d'autres faire le travail à sa place.
“Quand tu t'y attends le moins, attends-toi au pire”, enseignaient ses maîtres, tandis qu'à la synagogue, on s'interrogeait en chœur : “Qui vivra et qui mourra ? Qui à son heure, qui avant son temps ? Qui par l'eau, qui par le feu, qui par le glaive, qui par la bête ? Qui de faim, qui de soif, qui dans la tempête, qui de maladie, qui par strangulation, qui par lapidation ?”
Cette terreur de l'homme tout-puissant, cette crainte de Dieu comme la seule voie vers la sagesse et la vertu, qu'un Savonarole n'aurait pas désavouée, Shalom la reporte sur la personne de son père, tyran domestique colérique et violent, qui lui inspire plus de peur que d'amour. Dans son esprit, Dieu et son père s'amalgament, l'un renforçant l'autre.
Ainsi, quand le rabbi Goldfinger apprend à Shalom que jusqu'à l'âge de treize ans, les péchés du fils sont attribués au père, il entrevoit la fin de ses tourments. Prier Hashem pour qu'il épargne son géniteur ? Jamais de la vie ! Shalom deviendra pécheur afin que Dieu fasse mourir son père. Il sortira sans sa kippa, boira du lait après avoir mangé de la viande, actionnera l'interrupteur de sa chambre pendant le shabbat et se touchera, parfois plusieurs fois de suite (encore que, vu son jeune âge, on puisse se demander ce qu'il entend par là).
Mais “l'homme prévoit et Dieu rit”, comme le lui répète sa mère et, malgré tous ses efforts, malgré la révolte qu'il entretiendra jusqu'à l'âge adulte, il échouera à se débarrasser de son père comme de son Dieu. Des années plus tard, alors que les maîtres de Shalom sont morts depuis longtemps, qu'il ne voit plus guère ses parents devenus vieux, et qu'il a tourné le dos à ses coreligionnaires, l'homme terrible de son enfance est toujours là, à lui pourrir la vie.
Quoi qu'il arrive, Shalom s'attend toujours au pire. Son esprit est le théâtre d'un festival incessant de scènes d'horreur aboutissant inéluctablement à la mort atroce de tous ceux qui lui sont chers. Après avoir péché le plus clair de son enfance et de son adolescence sans obtenir le résultat escompté, après avoir rejoint une yeshiva en Israël pour tenter, sans plus de succès, de trouver la paix de l'esprit, il ne lui reste qu'un recours : la négociation. Tant de pages de son dernier livre à la poubelle contre la vie sauve pour sa femme (partie chercher le pain à la boulangerie du coin et tardant à revenir). Des deals de ce tonneau, il en fait dix par jour, autant de fois que nécessaire pour calmer ses angoisses.
Shalom a un psychanalyste. Shalom a lu Spinoza. Il a aussi lu Nietzsche. Rien n'y a fait. Dieu s'accroche à lui, en lui, plus enragé, plus coléreux, plus vengeur que jamais.
Même s'il a passé sur l'échiquier divin assez de temps pour savoir que chaque coup, chaque bonne nouvelle – succès, mariage, naissance – n'est qu'un gambit, une feinte, un leurre, une chausse-trappe, Shalom ne peut s'empêcher de s'interroger. Que faire du prépuce de son enfant à naître. Circoncire ou pas ?
Et pendant ce temps, là-haut, Dieu pouffe.
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Créée
le 28 août 2017
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