La mangeuse de guêpes est l'histoire très étrange d'une phalange volée du corps d'une suicidée par son amant et qui, après avoir été oubliée (l'os, pas la morte), va passer de mains en mains, de femmes, exclusivement. L'âme de la défunte, 50 ans après sa disparition, n'est toujours pas en paix, mais en peine, et elle flotte au-dessus de notre monde comme un fantôme insatisfait. De cet argument fort romanesque, Anita Nair, dont on connait le talent depuis longtemps, tire une succession de récits enchevêtrés, qui disent tous un peu/beaucoup de la condition féminine, aujourd'hui, en Inde. Au gré des allers et retours entre son héroïne, qui a choqué ses proches avant sa mort par ses écrits très "libérés", et d'autres figures féminines, dont une autre majeure, harcelée par un ancien amant, peut naître une certaine frustration du lecteur qui aurait voulu passer plus de temps avec les deux protagonistes essentielles du livre, celle du passé et celle du présent. La romancière a peut-être trop de destinées à raconter mais une fois compris ce passage incessant de l'une à une autre, l'on s'en accommode assez facilement, cela devient même un jeu amusant, bien que beaucoup d'histoires soient dramatiques, car il y a la quasi certitude que Anita Nair finira tôt ou tard par nous narrer la façon dont la femme à la phalange s'est ôtée la vie. La mangeuse de guêpes, outre son fort intérêt sociologique, est donc aussi un bon thriller sentimental et existentiel.