Ce premier roman autobiographique de Dimitri Verhulst, paru en 2008 (traduit du néerlandais par Danielle Losman aux éditions Denoël), et ensuite adapté au cinéma par Félix Van Groeningen, réussit à raconter crûment, avec truculence et un humour chevillé au corps, son enfance dans un milieu très pauvre où, pour assumer le manque d’argent, le confort et l’aisance sont présentés par les hommes comme les preuves patentes d’un manque de virilité.
La virilité est l’attribut essentiel ici, pour des hommes en général sans emploi, une virilité réaffirmée par l’absorption quotidienne de la plus grande quantité possible de tabac et d’alcool, par les ardoises laissées dans la multitude de bars de ce village de Flandres, par les coups et les bagarres et finalement par le cancer inéluctable qui vient couronner l’alcoolisation méthodique et emporter tôt les hommes - ne pas vieillir devenant un autre motif affiché d’appartenance à la communauté et de refus de la petite bourgeoisie.

«Mon père était un socialiste et mettait tout en œuvre pour être reconnu comme tel. Posséder, pour lui, signifiait plus à épousseter. Posséder vous possédait, jamais l'inverse. Si, grâce à une épargne imprévue, nous menacions de terminer le mois avec un petit surplus d'argent, il vidait le compte bancaire et buvait tout ce qui restait pour nous protéger des tentations du capitalisme.»

Les vies vides et sordides, les maisons insalubres, le chômage, l’alcoolisme, la violence, les corps défaits par la pauvreté, la maladie et le manque de soins, Dimitri Verhulst met tout à nu avec un humour décapant. Au final lui s’en sortira, avec l’intervention d’une assistante sociale, tout en gardant l’attachement à son milieu d’origine et à sa famille constituée en clan. Ce roman qui a rencontré un grand succès est l'un des prédécesseurs, sans la rage et l’engagement politique évident, du roman d’Édouard Louis, "En finir avec Eddy Bellegueule", dépeignant la violence du milieu et surtout les codes et défenses mises en œuvre pour rester debout et revendiquer son appartenance à un milieu d’une grande pauvreté dont il est quasiment impossible de s’extraire.

«Et lors de ses visites encore plus rares, nous implorions son mari de ne pas garer devant notre porte sa voiture qui avait coûté la peau des fesses. S’il vous plaît. Nous étions pauvres, nous l’avions toujours été, et nous portions avec fierté notre misère. Que quelqu’un gare sa luxueuse auto devant notre porte était ressenti chez nous comme une humiliation et nous avions honte à l’idée qu’un habitant du village pût penser qu’un Verhulst vivait dans l’aisance.»
MarianneL
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le 10 oct. 2014

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