Traduit du portugais, ce roman du Brésilien Joca Reiners Terron (né en 1968) surprend et donne à réfléchir, tout en se situant dans une mouvance qui intègre aussi bien le réalisme magique qu’un souci social, sans oublier une vraie réflexion sur l’anthropologie et l’écologie tels qu’on les conçoit actuellement.


Le roman (187 pages) est divisé en quatre parties d’environ 50 pages chacune, sauf l’ultime un peu plus courte. La première de ces parties permet de poser la situation de base ainsi que les personnages. Mais l’odyssée amazonienne déjantée pour un roman survolté – annoncée par le bandeau autour du livre – peine à décoller. Heureusement, l’auteur sait où il va et pour peu qu’on ait quelques images en tête à propos de l’Amérique du Sud, et en particulier la région amazonienne, on sent le puzzle se mettre en place. À noter que le roman est censé se passer dans un futur non précisé, où le dérèglement climatique a fait son effet, avec élévation de la température moyenne et assèchement du climat produisant des effets dévastateurs sur la forêt amazonienne.


Boaventura et les derniers indiens kaajapukugi


On entre dans le vif du sujet avec la deuxième partie où le narrateur (un fonctionnaire brésilien chargé de surveiller l’épopée des 50 derniers indiens kaajapukugi) raconte ce qu’il observe d’une vidéo du nommé Boaventura, celui qui a découvert les Indiens en question. Malheureusement, la vidéo se termine en queue de poisson sur des paroles incompréhensibles. Il faut dire qu’elle constitue une sorte de message posthume de Boaventura. Celui-ci s’est filmé à l’arrière d’un taxi et il est même tout à fait possible qu’il soit mort (dans des conditions quelque peu suspectes), juste après s’être filmé. Et ce qu’il raconte mérite l’attention, car il livre quelques réflexions terribles : des révélations chocs sur son action vis-à-vis de ces Indiens (50 hommes pour aucune femme). Boaventura raconte leur découverte, ses observations et ses maladresses ayant conduit à une sorte de désastre.


Vie des indiens kaajapukugi


Bien que construit d’une manière relativement classique (avec ses quatre parties), ce roman se lit comme une bombe à retardement, puisqu’on comprend progressivement l’action désastreuse de Boaventura sur ces indiens que pourtant il observe avec intérêt et qu’il connaît mieux que personne. Et puis, l’auteur se montre bien plus subtil que ce qu’on imagine d’abord. En effet, les Indiens kaajapukugi sont une pure invention de sa part. Pourtant, à lire le roman, tout est fait pour laisser croire à leur réalité. En effet, l’auteur leur invente un vocabulaire particulier (il ne manque que les notes de bas de page ou un lexique en fin de roman pour préciser les significations), ainsi que des coutumes, une manière de vivre, des croyances et même une façon d’exploiter les ressources naturelles de leur région pour se fabriquer une substance aux vertus hallucinogènes qu’ils consomment à des occasions bien précises. L’auteur étant un fervent défenseur de la forêt amazonienne, on sent qu’il connaît bien la région et qu’il écrit pour tenter d’alerter l’opinion. Sans dénoncer la détérioration de la forêt à proprement parler, l’auteur dénonce les comportements des « civilisés » qui se croient toujours supérieurs à ces peuplades reculées, décident d’aller les observer dans leur habitat naturel et qui, malheureusement, s’en approchent trop. Un simple contact, même providentiel pour une cause imprévue, modifie totalement la situation. On verra qu’ici, les conséquences sont dramatiques.


Les Indiens kaajapukugi et l’actualité


Ce que Joca Reiners Terron sous-entend, c’est que l’avenir de ces peuplades (il en existe encore, dans la réalité) est voué à l’extinction, à cause de l’action humaine en général (sans désigner un ou des coupables, c’est la civilisation et ses progrès qui sont visés, notamment l’expansion sans frein). Allons même un peu plus loin, car si le sort des Indiens kaajapukugi fait l’actualité puisqu’ils sont dirigés dans un premier temps vers le Canada puis échouent au Mexique, ceci est à mettre en parallèle avec l’envoi d’une mission chinoise vers la planète Mars. Très prosaïquement, la future disparition des indiens n’est qu’un épisode de la vie sur Terre et il deviendra anecdotique, car « The show must go on ».


Une parabole amazonienne


L’auteur réussit donc un étonnant roman qui mérite bien cette traduction en français, la première pour lui. Il s’arrange pour faire sentir le sort qui attend les peuplades reculées (aussi menacées que bien des espèces animales ou végétales). Pour ce faire, il propose un roman qui finit par virer au fantastique (même si le final me laisse un peu perplexe car, pour coller au titre, l’auteur apporte à mon avis une légère contradiction avec le reste, en particulier le fait que son narrateur puisse nous expliquer tout ce qui s’est passé). Joca Reiners Terron se montre particulièrement doué pour établir une ambiance de plus en plus fiévreuse qui correspond bien à tout ce qu’on peut imaginer de plus mystérieux dans la vaste région amazonienne.


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le 19 juil. 2021

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