"A l'isolement. Ç’a été leur dernière injonction, et ils l'ont respectée. J'y suis. Pas de télé, pas de Secret story avec mes copines de poisse surexcitées par la gloire. Pas de beaux mecs à pectoraux et cervelle passée au hachoir.
Pourquoi est-ce encore moi qui paye ?"


Celle qui parle dans ce roman n'a pas de nom. Mais ce personnage est directement inspirée d'Emma, "l'appât" du gang des barbares. Astrid Manfredi mélange allusions réelles à l'affaire et éléments fictifs. Ainsi, si elle retient les deux faits majeurs qui ont mis Emma sur le devant de la scène médiatique (les tortures et l'assassinat d'Ilan Halimi, auxquelles elle a assisté sans intervenir, et sa liaison avec le directeur de la prison lors de son incarcération), elle lui invente une enfance différente de ce que nous en disent les journaux. Effacés l'origine iranienne, les viols, le père violent. A la place, Astrid Manfredi dresse le quotidien d'une famille de la dèche comme tant d'autres : le père chômeur et branleur qui attend son grand soir ; la mère jolie mais abîmée par le quotidien qui l'écrase, incapable de la moindre tendresse ; les huissiers, la honte de la pauvreté ; l'échec et le mensonge de l'école républicaine "pour tous" ; et la rage qui monte. Ce qui permet à l'auteure de transformer son personnage en porte-voix de tous les oubliés des banlieues.


En effet, en plus de nous raconter son histoire, Emma dénonce tout : l'hypocrisie de la société, l'impossibilité de s'en sortir pour les pauvres, la médiocrité de la vie bourgeoise, la place des femmes. Ça part parfois un peu dans tous les sens, et certaines réflexions sont plus que contestables (comme de parler de beauté pour qualifier la haine des barbares, très dérangeant au regard des faits). Mais Astrid Manfredi n'excuse pas tous les actes de son personnage. Si l'on entrevoit des pistes de rédemption, la plongée dans une âme dénuée de remords reste éprouvante. On peut parfois s'attacher à cette jeune fille à fleur de peau et sans concession, mais c'est pour mieux repousser ce sentiment l'instant d'après. Et c’est sans doute la grande force de ce livre : déranger le lecteur, le forcer à regarder ce qu'il préférerait ne pas voir, le secouer.


L'écriture est belle, poétique, et le roman se lit d'une traite, même s'il faut parfois s'en extraire un peu pour digérer ce qu'il nous dit. Une lecture qui donne à réfléchir donc, et un beau coup d'éclat pour ce premier roman.

CathyB
7
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le 23 oct. 2015

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CathyB

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