Quatrième opus de ce qu’il convient désormais d’appeler la fresque de « La Tragédie humaine », La Profondeur des tombes dépeint un monde dans un nuancier de teintes que n’aurait pas désavoué Pierre Soulages. Un camaïeu d’une noirceur asphyxiante, celui d’une atmosphère souillée par le panache des fumées issues de la combustion du charbon, l’énergie reine d’une humanité ayant asséché ses ressources en hydrocarbures. Nuit claire et nuit noire se succèdent désormais dans un hiver perpétuel. L’eau est irrémédiablement polluée, l’air charbonneux rend la respiration pénible et la faune sauvage n’a plus droit de cité qu’au fond des mines, unique condition à sa survie décidée par une écologie politique dévoyée.
Dans ce paysage du désastre, Forrest Pennbaker traîne son spleen et sa carcasse de lâche, hanté par la Mort, aperçue au bord du lac de son pays natal. Une vision imprimée définitivement dans sa mémoire et dont la voix, semblable à celle de sa mère défunte, lui parle sans cesse. Employé comme porion à CorneyGround, l’un des sites miniers essentiels, il dirige une équipe de gueules noires, tiraillé entre sa fascination des abîmes et la férule tyrannique de Lorkraft, son supérieur hiérarchique. Un soir, il retrouve CloseLip définitivement éteinte sur le palier de son immeuble. La disparition de la réplicante souffle l’ultime lueur de raison de son esprit. Elle le pousse à tailler la route vers l’U-Zone, la terre dévolue aux réprouvés, pour y retrouver Bartolbi, un fou dangereux élevant des hyènes clonées, avec l’espoir d’y retrouver l’amour de sa jeunesse.
« La profondeur des tombes, quand nos yeux s’y noient. »
La Profondeur des tombes entretient une parenté évidente avec La Lumière des morts. Une fois de plus, on est immergé dans un univers très visuel et viscéral, où prévaut la fin de l’Histoire. Pour autant, les personnages de Thierry Di Rollo restent très humains dans leurs motivations. Tristement humain est-on même tenté d’affirmer. Dans un monde ravalé à sa stricte valeur utilitaire, peuplé par un incroyable bestiaire composé de hyènes, d’hippopotames, de buffles et singes, la survie se paie désormais au prix de l’abandon total de la préservation de l’écosystème.
Du désespoir à la folie, de la mort à la tombe, Pennbaker saute le pas, une fois tombées les ultimes barrières de la raison. Littéralement obsédé par la mort, le bougre entame alors une quête mortifère, jalonnée de cadavres semés au gré de son parcours au sein de l’U-Zone, ce territoire interlope où croupissent les pires crapules. Pendant son voyage, il se nourrit d’illusions, évoquées au cours de plusieurs flash-back, mais le présent le ramène systématiquement à une réalité plus crue, celle d’une humanité jamais à cours d’idées ou de justification dans sa propension à l’auto-destruction.
La Profondeur des tombes recèle des pages magnifiques, sublimées par une écriture sèche, tirée au scalpel, contribuant à transmettre une colère sourde, une révolte latente peinant à trouver un exutoire viable. On reste ainsi longtemps marqué par les ténèbres vivantes de la mine, par la charge meurtrière du buffle dans ses couloirs, par l’agonie silencieuse de l’hippo et par l’absurdité criminelle d’un système économique ne cherchant surtout pas à se remettre en cause. Dans ce contexte de violence sociale, l’attrition des émotions apparaît donc comme un réflexe vital afin de supporter un quotidien morne, dépourvu d’avenir, mais où l’amour paraît l’ultime viatique accordé au monde mourant.
Sous les apparences de l’allégorie et de la dystopie, la noirceur des paysages traversés par Pennbaker fait écho à celle de sa psyché, le poussant à suivre son fatum jusqu’à son terme, nous abandonnant épuisé mais guère apaisé. Bien au contraire. À suivre avec Meddik.
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