Une épopée prenante et qui va crescendo, dans un registre que Bordage n'a que finalement peu exploré, celui de la fantasy d'inspiration médiévale. Roman récent (2018) paru en deux tomes, mais qui constituent une seule et même histoire, sans discontinuité de l'un à l'autre, et qui confirme que, lorsqu'il veut bien s'en donner la peine, Bordage est - encore - capable de pondre un livre-univers foisonnant et de longue haleine : l'ensemble fait plus de mille pages si ce n'est pas, en termes de volume, ni les guerriers du silence, ni la fraternité du Panca.


Le point fort du bouquin, c'est à n'en pas douter l'univers créé par l'auteur. Arkane est une ville sur cinq niveaux, ségréguée socialement comme spatialement. De haut en bas, les hauts (lieu de résidence des sept familles de l'oligarchie), les dits (pour les intellos et artistes), les marches (pour les commerçants et entrepreneurs), les labeurs (pour les travailleurs manuels) et les fonds (pour les sans-emplois et ceux qui se débrouillent). Niveaux entre lesquels on ne peut passer que par des labyrinthes, connus du seul ordre des torcherons, ainsi nommés parce qu'ils utilisent des torches pour guider les transitaires. A l'extérieur, un fleuve géant dont les crues, capricieuses, permettent à de misérables paysans de cultiver la céréale qui nourrit tout ce beau monde.


Un monde un peu à l'image du notre, en fait, à cela près que Bordage a placé les intellos au-dessus des entrepreneurs. Analogie d'autant plus parlante qu'Arkane, au début du bouquin, est au bord de l'effondrement, minée par la cupidité et le goût du pouvoir des familles régnantes. Voilà pour les grandes lignes, car il y a d'autres corps sociaux, ordres et guildes qui jouent tous, à un moment donné un rôle dans le déroulement de l'histoire. Le tout, selon un procédé déjà utilisé par l'auteur, étant documenté par des introductions de chapitres qui sont des extraits de livres saints ou de chroniques, des proverbes et contes ou des chansons arkaniennes.


Voilà pour le décor. Pour ce qui est de la construction, elle repose sur l'alternance de chapitres consacrés aux pérégrinations des deux personnages principaux, Renn et Oziel. Un homme et une femme évidemment, que n'ont rien en commun au départ, mais dont les destins vous se croiser et qui vont avoir des visions l'un de l'autre au fur et à mesure qu'ils vont se rapprocher géographiquement. Procédé quand même un peu cousu de fil blanc (on voit très vite le truc venir) et déjà utilisé par Bordage, dans Résonances par exemple. Tout comme est cousu de fil blanc le fait que presque chacun des chapitres se termine par événement inattendu et saisissant, ce qui pousse évidemment le lecteur à avancer dans le bouquin. Mais bon, Bordage à ses ficelles, il faut faire avec.


Pour autant, le bouquin foisonne de personnages secondaires et, d'ailleurs, certains des chapitres sont consacrés à un troisième personnage, Noy, à la destinée moins rectiligne que celles des deux premiers, mais qui à son importance dans le déroulé de l'affaire. Bref, si vous avez lu ma chronique jusque là, vous aurez compris que le bouquin est plutôt en riche en détails qui apportent de la consistance à l'ensemble, qui pour le coup tranche favorablement avec certains de ces courts bouquins que l'auteur à tendance à pondre au kilomètre.


Enfin, pour ce qui est la mystique comme de l'humanisme, c'est du grand classique bordagien. Une pincée de philosophie orientale, de la quête de spiritualité par le vide intérieur, de l'humilité et de la capacité à faire abstraction de ses passions en veux-tu en voilà. A côté de cela, le côté magie - indispensable à tout bon roman de fantasy - est plutôt bien torché : on y écoute notamment chanter la pierre. Reposant, d'autant qu'il y a de-ci de-là par mal de tripaille répandue au gré des nombreuses bastons qui jalonnent la quête de nos deux héros promis l'un à l'autre. Et puis, il y a toujours ce charme indéfinissable qui est en définitive la signature de Bordage : dans ses bouquins, les complotistes finissent toujours par avoir raison envers et contre tous...

Marcus31
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le 20 août 2021

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